L'exode des marocains est un phénomène d'une telle ampleur qu'il est difficile d'en mesurer les conséquences immédiates et celles à venir. Les pateras sont devenues un lieu commun, une réalité dont on ne s'étonne plus. Jawed Rhaleb est marocain et il s'interroge sur ce processus d'émigration. Ses interrogations ont donnés naissance au film Brûler disaient-ils ou les raisons de la colère. Brûler est le terme employé par les jeunes marocains désignant ainsi la traversée périlleuse qui leur permettrait de rejoindre le continent européen.
Jawed Rhaleb n'en est pas à son coup d'essai. Ce journaliste de formation, initié aux techniques audiovisuelles sur le tas, possède le langage des émissions télévisuelles; rythme des images soutenu, alternance de scènes choc et d'images poignantes, entrelacements de paysages et de portraits. Il a longtemps travaillé pour la télévision marocaine avant de venir s'installer en Belgique. Les thèmes qu'il aborde ont en commun ce besoin de dénonciation, une intolérance certaine face aux injustices, aux inégalités.
Brûler disaient-ils ou les raisons de la colère s'inscrit dans une réflexion plus personnelle en ce sens que J. Rhaleb retourne dans son pays d'origine. La part d'homme et son vécu est derrière chaque pas du réalisateur, qui ne s'en cache d'ailleurs pas. Les cinéastes du geste documentaire se sont recentrés. Laissant progressivement la captation du monde aux caméras de surveillance des forces et des médias télévisés, leur attitude face à la réalité, on pourrait presque dire leur programme, tient désormais en une phrase : filmer le monde, certes, et pour continuer à l'interroger, mais en partant encore plus clairement d'eux-mêmes, de tout ce qu'ils sont (être tout soi : définition noble de la solitude, à l'opposé de l'esseulement) et souvent d'eux seuls ou peu s'en faut. De plus en plus de cinéastes filment ainsi en solo ou en petites équipes de deux ou trois complices, toujours les mêmes (l'un fait l'œil, l'autre l'oreille, le troisième assure les connexions …)(LEBOUTTE, 2002). De par le thème et les moyens mis en œuvre, ce film est extrêmement personnel. Nous y verrons, au travers l'analyse d'une situation, les questionnements d'un homme sur sa destinée et ce qu'elle aurait pu être.
Le prochain film de J. Rhaleb sera la suite logique de Brûler : la réalité de certains clandestins réduits à l'état d'esclavage dans les exploitations agricoles de El Ejido, l'Eldorado maraîcher espagnol.
Au travers de notre analyse nous tenterons d'inscrire Brûler dans une lignée documentaliste, de détailler les intentions de départ J. Rhaleb et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Nous reviendrons également sur l'impact des procédés choisis sur le spectateur ainsi que sur les différentes spécificités narratives de ce film.
[...] Qui plus est, ce choix dépend fortement des visées de l'auteur. Nous pensons que les objectifs sous-jacents du film sont principalement doubles. Il y a ceux du réalisateur qui désire informer mais également susciter une réaction, une émotion et il y a l'homme qui au travers d'une réflexion plus large, effectue un retour sur lui-même, s'interroge sur sa place et son rôle de manière très individuelle et personnelle. Un nouveau documentaire s'est créé, où il est question justement d'être soi-même mis en cause par l'autre qu'on filme. [...]
[...] La réflexion de Bizern va dans le même sens puisque selon lui le rapprochement des mots mise en scène et parole marque la volonté de différencier le documentaire du reportage et de le rapprocher de la fiction (BIZERN, 2002). Les premiers instants du film sont extrêmement révélateurs La structure est donnée quelques minutes seulement après le début du film. Effectivement J. Rhaleb annonce qu'il part à la rencontre des refoulés, des mères qui pleurent leurs enfants, des gamins de la rue, des passeurs et des Subsahariens qui partagent le même rêve que les Marocains La structure s'articule autour de ces rencontres. Le film s'ouvre donc sur une scène forte. [...]
[...] Les interviewés sont rassemblés en groupe, Jawad Rhaleb mène les échanges. Lors de la séquence consacrée aux refoulés, J. Rhaleb intervient physiquement et c'est d'ailleurs la première fois qu'il est donné à voir à l'écran. Au long de la séquence suivante, l'interview des mères de famille, on ne le verra plus mais dans les deux cas, il est celui qui pose les questions et c'est à lui que l'on répond. A l'image : des gros plans des interlocuteurs, leurs mains, les visages de ceux qui les entourent et qui les écoutent, mais pas ou très peu de regard caméra. [...]
[...] On ressent assez fortement que c'est à Jawad Rhaleb que les propos s'adressent. Il peut paraître fort anodin de souligner qu'au moment où l'une des femme atteste de ce qu'elle a pu voir au port, c'est-à-dire des enfants tentant par tout les moyens de sauter sur les paquebots au risque de leur vie, le caméraman est alors en plan visage et quitte cette femme pour filmer celles qui l'entourent. Ce déplacement est regrettable car il vient perturber le spectateur au cœur d'un témoignage fort ; il démontre néanmoins le fait que le caméraman ne parle ni ne comprend l'arabe et qu'il filme sans pouvoir concevoir ce qui est dit, ce qui peut provoquer de telles pertes. [...]
[...] Au travers de notre analyse nous tenterons d'inscrire Brûler dans une lignée documentaliste, de détailler les intentions de départ J. Rhaleb et les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Nous reviendrons également sur l'impact des procédés choisis sur le spectateur ainsi que sur les différentes spécificités narratives de ce film. Abordant un thème aussi sensible que celui de la véritable transhumance des jeunes magrébins vers un éden idéalisé, le choix de réaliser un documentaire et non une fiction, nous semble prudent. [...]
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