Si la caméra diffère à ce point de l'œil humain en ce sens qu'elle voit et enregistre des éléments invisibles à la vision humaine, alors le cinéma ne peut-il pas être considéré comme un outil de décodage et faciliter ainsi une meilleure compréhension de la ville ?
C'est à cette question que je tenterai de répondre en reprenant l'opposition entre regard cinématographique et regard humain élaborée par Jean-Louis Comolli dans le livre Regards sur la Ville et en m'attardant sur le rôle du cinéma en tant que révélateur du mouvement de la ville.
L'exposition « Paris au cinéma » m'ayant ouvert les yeux sur la présence physique importante de la ville de Paris dans le cinéma aussi bien français qu'étranger, je me suis par la suite intéressée à l'influence que le cinéma et la ville peuvent exercer l'un sur l'autre. Grâce au livre Un Nouvel Art de voir la Ville et de faire du Cinéma, du cinéma et des restes urbains de Charles Perraton et François Jost ainsi qu'à Regards sur la Ville de Gérard Althabe et Jean-Louis Comolli, je tenterai de retrouver les traces de la présence, à un moment donné, du cinéma dans la ville. J'analyserai également l'impact de la présence de la ville dans le cinéma sur la représentation qu'elle se fait d'elle-même et sur les représentations que d'autres disciplines (art, etc.) font de la ville. J'aborderai également cette idée d'influence dans le sens inverse, c'est-à-dire en cherchant à savoir si la ville ne pourrait pas influencer le cinéma, en l'incitant à parler d'elle.
[...] La représentation de la ville dans le cinéma influence-t-elle le spectateur dans sa propre perception de la ville ? Ce thème m'a rappelé le cours d'archéologie de l'image et du son d'Olivier Jeudy. Ce cours, ponctué de nombreux extraits de films, m'avait réellement intéressée. J'ai pu y apprendre comment furent réalisés les premiers effets spéciaux au cinéma, les caractéristiques du cinéma documentaire et du photomontage et aborder différentes techniques cinématographiques. Nous avions analysé la façon dont Lumière, dans Sortie d'Usine et Arrivée en gare de la Ciotat manipulait le réel pour faire paraître le quotidien de la ville encore plus réel. [...]
[...] Ainsi Charles Perraton se demande si la perception et l'expérience de la ville ne sont pas transformées sous l'influence du cinéma. L'auteur invite à un questionnement sur les mouvements de la ville à l'écran et de l'écran à la ville, qui permettraient de révéler le poids des images et l'impact des scénarios sur notre manière d'habiter la ville. Ces allers-retours entre ville et cinéma peuvent se résumer dans la citation que Charles Perraton emprunte à Richard Sennett, sociologue américain : la ville est comme un lieu cinématographique à part entière ; elle est non seulement le point de départ, mais aussi le point d'arrivée. [...]
[...] Walter Benjamin estime que le premier rôle du cinéma était d'ordre architectural. Il avait pour tâche d'organiser le volume virtuel livré au spectateur dans son orthogonalité bidimensionnelle grâce à l'application des lois d'optique et du code de la perspective A l'instar de la ville offrait aux passants, le cinéma développait jusqu'à l'exacerbation ces nouvelles expériences perceptives W. Benjamin utilise l'architecture afin de déterminer ce que le cinéma propose au public comme nouvelle expérience de l'art En partant de l'architecture pour mieux comprendre le cinéma, Benjamin distingue deux manières de percevoir un élément architectural. [...]
[...] Selon Jean-Louis Comolli, le cinéma procèderait par «blocs de sensations et entremêle le son, l'image, la perception de l'instant en même temps qu'il intègre la balance de l'oubli et de la mémoire. Il ne pourrait traiter l'espace en le dissociant du temps et serait incapable de traiter des fragments d'espace sans les transformer au final en fragments de temps. Le cinéma opèrerait ainsi une transformation de la sensation d'espace en sensation de temps. Selon l'auteur, tout espace filmé serait digéré en une durée qui deviendrait sa qualité primordiale. Jean-Louis Comolli se demande si le principe du temps n'est pas plus puissant au cinéma que celui de l'espace. [...]
[...] De nombreux cinéastes et sociologues ont tenté de savoir qui du cinéma, ou de la ville, a investi l'autre en premier. Dominique Noguez¹, écrivain, auteur de l'article Prises de ville publié dans le livre Cités-Cinés, estime qu'« avant même d'être prise par lui, la ville est liée au cinéma. Il partage l'opinion de Richard Sennett, sociologue américain désignant la ville à la fos comme le point de départ et le point d'arrivée du cinéma. En effet, Dominique Noguez énonce que la ville est comme un substrat, un écrin, un décor général, un point de départ Doutant du statut du premier film La Sortie des Usines Lumières en tant que film urbain, Dominique Noguez assure néanmoins qu'« on ne peut penser les débuts du cinéma hors de la ville et sans la ville ».Il considère que le cinéma seul n'aurait pu amener à la rencontre de réalisateurs tels que Lumière et Méliès dans le sous-sol du Grand Café en 1895. [...]
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