L'écrit bénéficie d'un statut privilégié en France ; cette fonction créatrice est survalorisée par rapport aux autres, comme en témoigne la place de l'écrivain dans la hiérarchie sociale, à tel point que nombreux sont ceux qui, ne se sentant pas à la hauteur de ce titre prestigieux, préfèrent se définir comme des auteurs. A l'évidence, les scénaristes ne jouissent pas de cette aura conférée à l'activité d'écriture : inconnus du grand public, rarement cités par la presse, ils sont marginalisés au sein même de l'industrie de la production audiovisuelle. Comment expliquer cet état de fait ? Une des origines principales de cette situation remonte probablement à la lutte victorieuse qu'ont menée les réalisateurs de cinéma pour être reconnus en tant qu'auteurs, notamment au moment de la Nouvelle Vague. Cette lutte fut dirigée en particulier contre les scénaristes, qui à l'époque de « l'âge d'or » du cinéma français, dans les années 1940 et 1950, jouissaient souvent d'un prestige supérieur aux réalisateurs. L'acquis définitif de la Nouvelle Vague française est d'avoir imposée l'idée que le seul véritable auteur d'une œuvre cinématographique est son réalisateur, reléguant ainsi le scénariste au second plan.
La télévision étant un média hautement méprisé en France, la légitimité d'auteur des scénaristes de télévision leur est d'autant moins accessible. Ce n'est pas le cas dans toutes les sociétés : aux Etats-Unis notamment, les fictions télévisuelles, en particulier les séries, jouissent aujourd'hui du même prestige artistique que les films de cinéma. Nous concentrerons cependant notre étude sur la situation française, car le conflit entre la notion d'auteur et la culture de masse y est exacerbé du fait de la « sacralisation » unique de la fonction d'auteur. En France, la notion d'auteur est intrinsèquement liée à celle d'artiste ; or depuis le XIXe siècle c'est la vision romantique de l'artiste qui prévaut, c'est-à-dire celle d'un génie solitaire, autonome, et qui ne peut en aucun cas être influencé par des considérations matérielles et techniques. Il est donc particulièrement intéressant de se demander si les scénaristes français de télévision peuvent se définir comme des auteurs.
Nous nous intéresserons d'abord au statut objectif des scénaristes de télévision, et à leurs conditions concrètes de travail, pour nous demander si elles sont compatibles avec la notion d'auteur telle qu'elle est admise en France. Puis nous adopterons une approche subjective, du point de vue des scénaristes, en se demandant s'ils se définissent eux-mêmes comme des auteurs.
[...] Cette fonction d'auteur étant sacralisée en France, elle est donc éminemment revendiquée. Qu'en est-il des scénaristes de télévision? Se définissent-ils comme des auteurs malgré les lourdes contraintes techniques et économiques qui pèsent sur leur travail d'écriture ? a. Le paradoxe du scénariste[9] Les études sociologiques de Dominique Pasquier et de Monique Dagnaud, menées sous la forme d'entretiens avec des scénaristes de télévision français, mettent en évidence un double-discours de la part de ces derniers à propos de leur statut d'auteur. [...]
[...] En France, la notion d'auteur est intrinsèquement liée à celle d'artiste ; or depuis le XIXe siècle c'est la vision romantique de l'artiste qui prévaut, c'est-à- dire celle d'un génie solitaire, autonome, et qui ne peut en aucun cas être influencé par des considérations matérielles et techniques. Il est donc particulièrement intéressant de se demander si les scénaristes français de télévision peuvent se définir comme des auteurs. Nous nous intéresserons d'abord au statut objectif des scénaristes de télévision, et à leurs conditions concrètes de travail, pour nous demander si elles sont compatibles avec la notion d'auteur telle qu'elle est admise en France. Puis nous adopterons une approche subjective, du point de vue des scénaristes, en se demandant s'ils se définissent eux-mêmes comme des auteurs. [...]
[...] C'est une des raisons pour lesquelles le scénariste de télévision ne peut plus vraiment se définir comme un auteur au sens où la société française entend ce mot. Bibliographie DAGNAUD Monique, Les artisans de l'imaginaire. Comment la télévision fabrique la culture de masse, Paris, Armand Colin p. MARY Philippe, La Nouvelle Vague et le cinéma d'auteur, Paris, Seuil p. PASQUIER Dominique, Les scénaristes et la télévision, Paris, Nathan p.21- 23 MARY Philippe, La Nouvelle Vague et le cinéma d'auteur, Paris, Seuil p. [...]
[...] Dominique Pasquier a relevé l'utilisation de la métaphore du chantier utilisée pour évoquer l'écriture d'une fiction sérialisée : les architectes conçoivent les plans d'ensemble, déterminent les matériaux à utiliser, et les exécutants concrétisent la structure dont ils n'élaborent que des fragments[7]. c. L'éclatement de la fonction créatrice Cette extrême division du travail d'écriture amène donc à un éclatement de la fonction créatrice entre plusieurs personnes, qui sont toutes considérées comme auteurs, mais à des degrés différents. Ainsi, ceux qui élaborent les concepts et la bible perçoivent plus de droits que les exécutants. [...]
[...] Les conditions de travail du scénariste de télévision sont difficilement compatibles avec la conception d'un auteur libre et indépendant a. Des auteurs aux yeux de la loi mais de la loi seulement Si on s'intéresse au statut objectif du scénariste de télévision en France, il faut avant tout étudier leur statut juridique. Or, de ce point de vue, les textes sont clairs : le scénariste est co-auteur de l'œuvre, et à ce titre il perçoit des droits sur la diffusion de cette dernière. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture