Le documentaire est précédé d'un générique où sont inscrits les noms des participants en blanc sur fond noir. Il est agrémenté d'une musique calme mélant le bruit des oiseaux à une voix grave qui chantonne. La musique continue alors que le documentaire commence par un plan montrant une plaine de sable et de terre.
“Il suffit parfois de quelques images pour se prendre de passion pour un cinéaste. Pour nous, tout est parti d'un plan tourné au Vietnam“. Cette phrase du commentateur Philippe Torreton annonce les images qui suivent, extraites d'un document d'archive de 1954. Encadrés par une poignée de soldats vietnamiens, 3500 soldats du corps expéditionnaire français s'acheminent vers les camps de prisonniers de la frontière chinoise. Ces images reviennent dans tous les documentaires sur la guerre d'Indochine.
Au fil du temps, ces soldats en haillons ont fini par incarner l'ampleur de la défaite française à Diên Biên Phu. Leur détresse est tellement évidente qu'on ne pense même plus à s'interroger sur l'origine de ces images, envoyées comme un document d'actualité par les services de propagande communiste aux agences de presse du monde entier.
Le commentateur attire notre attention sur un détail important. Sur un plan en noir et blanc, un soldat vietnamien ouvre la voie à une colonne de soldats : il a totalement disparu du montage final où l'image devient peu à peu en couleur. Ces séquences sont tournées en couleur plusieurs semaines après la bataille. On a dû réunir au même endroit plusieurs milliers de prisonniers et les forcer à rejouer leur propre rôle.
« Mais comment, dans ce paysage plat comme la main, dominer les prisonniers, inscrire la totalité de la colonne en une figure qui part du centre de l'image et va se perdre à l'horizon de l'histoire ? » s'interroge Philippe Torreton.
On nous présente la photographie en noir et blanc d'un homme assis sur une grue. Il a en effet fallu en construire une pour mieux diriger les prisonniers, les disposer en « S » parfait et tourner à deux caméras en plaçant un deuxième cameraman à côté de la colonne pour accompagner les prisonniers. Un bruit rappelant un battement de cœur, se fait entendre depuis plusieurs minutes comme pour symboliser le rythme de la marche militaire des soldats. Il a fallu également évaluer un groupe d'entre eux pour en faire le portrait en plaçant devant leurs yeux des écrans réflecteurs pour accentuer leur air fiévreux.
L'homme assis en haut de la grue, et qui a orchestré tout cela est Roman Karmen.
Neuf ans plus tôt, il mit en scène à Moscou la dernière parade de l'armée allemande défaite dont on nous montre quelques plans en noir et blanc. Le titre du documentaire apparaît et l'on sait désormais qui en sera l'objet « Roman Karmen, un cinéaste au service de la révolution ».
A partir de cet instant, le documentaire va nous présenter un résumé en images de la biographie de Karmen avant de reprendre une par une et chronologiquement, les étapes marquantes de sa vie.
[...] En Avril 1942, Karmen rejoint Leningrad assiégé où il dirige les équipes d'opérateurs enfermés dans la ville depuis plus d'un an. On nous présente un extrait d' Octobre d'Eisenstein suivi d'un extrait avec voix-off en américain d'un numéro spécial de Pourquoi nous combattons grande série américaine patriotique diffusée dans le monde entier. Le réalisateur Frank Capra y a utilisé presque tels quels de larges extraits du film de Roman Karmen. Les autorités alliées accordent à Roman Karmen le titre envié de correspondant de l'Assiocated Press. Roman Karmen fait partie de l'Etat major particulier du général. [...]
[...] Roman, sa mère, et son jeune frère sont pris en charge et s'installent dans les appartements collectifs du kremlin. Fils d'un héro de l'union soviétique, Karmen sera marqué à tout jamais par l'image de ce père porté à dos d'homme par les ouvriers d'Odessa. Roman est inscrit à l'université ouvrière pour devenir un cadre du régime mais il rêve de suivre les traces de son père qui lui a légué son appareil photographique et prend son pseudo pour devenir journaliste sous le nom de Roman Karmen. [...]
[...] Le début des années quatre-vingt-dix, lui, est marqué par une crise profonde de l'identité du socialisme. Une des causes en est l'effondrement du communisme en Union soviétique et en Europe de l'Est, qui entraîne la transformation de nombreux partis communistes en partis socialistes, tant en Europe de l'Est qu'en Europe occidentale. Ainsi les socialistes se présentent désormais comme la seule alternative au libéralisme alors même que leur expérience gouvernementale et leur action politique dans les années quatre-vingt les avaient conduit à se rapprocher du libéralisme, en se ralliant à la politique de monnaie forte, en réduisant les déficits publics et les programmes sociaux. [...]
[...] Karmen est décoré par le président pour sa conduite en Espagne tandis que son ami Kostov, accusé de déviationnisme est envoyé au Goulag où il est fusillé en 1940. C'est avec lui que Karmen avait commencé sa carrière de journaliste, qu'il avait appris la nécessité de l'engagement physique dans le journalisme de guerre. Karmen lui rendra hommage vers la fin de sa vie mais n'évoquera jamais les circonstances de sa disparition. Opérateur décoré, Karmen est envoyé spécial du studio des documentaires. Les Japonais attaquent directement la sécurité de l'Union Soviétique. [...]
[...] En 1954, il immortalise à Hanoi la victoire de tout un peuple sur ses colonisateurs et accompagne les premiers pas de la révolution cubaine. A plus de 70 ans, il rejoint au Chili en 1972 le gouvernement d'unité populaire soutenu par les communistes et témoigne de l'enthousiasme qui l'a fait naître. Il a partagé les aventures de la plupart des dirigeants marxistes de ce siècle : la pasionaria en Espagne, Mao Zedong, Hô Chí Minh, Fidel Castro, Salvador Allende Cinéaste soviétique, il n'a jamais cessé d'encenser ces héros du travail jusqu'à en faire des clichés : une comparaison est faite de plans montrant des travailleurs d'autrefois et de plans en couleurs montrant des travailleurs d'aujourd'hui. [...]
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