Nuit et Brouillard est un court-métrage documentaire trente-deux minutes qui tire son nom du décret dit « Nuit et Brouillard » (Nacht und Nebel), publié en 1941, qui visait à la déportation de tous les opposants et ennemis du Reich. Certains des prisonniers de camps étaient ainsi classés par les initiales NN, condamnés à disparaître rapidement sans laisser de traces. Conçu comme un « dispositif d'alerte » (Jean Cayrol), le film donne à voir le froid dispositif nazi mis en place et l'horreur d'une masse d'hommes et de femmes aux corps amaigris, décharnés, dépourvus de toute identité physique et morale, qui ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, et qui finissent par ne former qu'un tout, l'image du vide qui se creuse peu à peu.
Le corps est ici paradoxalement omniprésent dans l'œuvre. Paradoxalement dans le sens où la notion même de corps, d'une identité physique, finit par disparaître et ne laisser place qu'à un troupeau squelettique absent de toute considération extérieure mais néanmoins à jamais ancré dans la réalité.
Quelles représentations du corps nous donne à voir Alain Resnais dans l'œuvre qu'il a réalisée ?
[...] Le corps est une force de travail. L'âme n'existe pas, n'existe plus. Le manuel perdure, le spirituel s'évanouit. Ainsi, les déportés sont mis au service de la grosse industrie qui s'intéresse à cette main d'œuvre indéfiniment renouvelable Les camps deviennent des marchés On en est revenu au temps de l'esclavage. Qu'importe si trois mille Espagnols sont morts pour construire cet escalier qui mène à la carrière de Mathausen ».Ils seront vite remplacés ces corps qui servent à l'accès au travail d'autres déportés qui en mourront : Le travail, c'est la liberté. [...]
[...] Plus personne n'est humain : ni le dominant, ni le dominé. Paroxysme d'une non-Humanité. La chair sera marquée pour la vie ( ( Les corps sont gazés, gazés comme un prétendu fléau qu'on a endormi, épuisé, et que l'on veut maintenant étouffer sans se salir les mains. Pour cela, on utilise du Zyklon un pesticide à base d'acide cyanhydrique utilisé pour la dératisation et la désinsectisation. [...]
[...] Marchés de Buchenwald, d'Auschwitz, de Birkenau, de Ravensbruck tant de marchés à bestiaux, de places à négoces sans nom véritable, mais noms qui résonnent, qui hantent et qui achèvent, simples points comme les autres sur des cartes et des guides. Les déportés sont, après leur mort, vendus, intégrés dans une stratégie commerciale et industrielle, qui servira elle- même, entre autres, à engendrer d'autres corps perdus d'avance. Enfin, les corps sont réduits à l'état de cobaye. L'Homme n'en est plus un. Le déporté est le rat de laboratoire dans sa cage, et le nazi s'affaire à ses opérations inutiles ses mutilations expérimentales ses amputations Il détruit l'Homme et se détruit lui- même. [...]
[...] La seule distinction est celle entre les morts et les (sur)vivants voués à être morts. La perte d'identité physique est inévitable, inarrêtable, dans ce sens où les notions communes d'apparence distinctes s'effacent peu à peu, laissant place à un regroupement uniforme, à des hommes et des femmes qui ne sont plus qu'un. Les photos des papiers d'identité minutieusement gardées par l'administration nazie ne sont plus représentatives de ce qui est, mais d'un passé que l'on se force à faire disparaître. [...]
[...] Il n'empêche, le corps perd toute sa dignité à l'intérieur des camps. On les parque dans des dortoirs interminables et on les enferme dans des prisons, des cages calculées pour qu'on ne puisse tenir ni debout, ni couché Retour à l'état primaire, à l'état de fœtus, à l'état d'inexistant enfermé. Corps malades, amaigris, minés et squelettiques, ils portent en eux l'horreur et nous la reflète. Les corps à l'image laissent le spectateur choqué, anachroniquement coupable. Coupable de l'indifférence de ses Pères, coupable de la répugnance éprouvée face à ce qu'il advient malheureusement d'appeler des monstres. [...]
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