A l'orée du XXè siècle, Wagner, qui mourut avant l'invention du cinéma projeté, appelait de ses veux un « spectacle total », apte à faire jaillir la grâce. Presque un siècle plus tard, le spectaculaire ayant envahit la société, nombreux sont ceux qui se demandent si, en inaugurant l'ère de l'immédiateté, il n'occulte pas totalement toute possibilité de mémoire et toute velléité critique. Le cinéma, à la fois appareil privilégié de cette prise de pouvoir et support de discours pouvant en rendre compte, est souvent voué aux gémonies par les dépositaires du savoir qui lui dénient la possibilité de pouvoir produire du sens et l'assigne à une fonction de pur divertissement, appuyant par là l'idéologie dominante et l'intérêt des marchands d'images. Si nous assignons au cinéma le rôle de faire passer un message, de créer une interrogation et d'en donner quelques perspectives de réponse (discours), nous devons tenir compte de son fonctionnement spécifique. De nos jours, la télévision, le « home cinéma », ayant tendance à supplanter le film proprement dit , nous n'aurons pas de préjugé quant au support de projection, nous entendrons par « cinéma » l'image en mouvement, aussi bien l'exposition dans les salles obscures que la projection vidéo. Cependant, sauf mention contraire, nous envisagerons le visionnage d'un film dans le cadre normal de consommation, in extenso.
Le cinéma se débat donc entre la volonté de médier un discours et le spectaculaire qui tendance à le fermer en faisant adhérer le spectateur de manière réactive. On peut arguer en premier lieu que du fait qu'il est dans le mouvement, l'œil (et l'esprit) doit enchaîner ; aspect séquentiel. On peut toutefois nuancer ce propos pour la vidéo qui permet de faire des pauses, retour etc. En outre, il est réaliste, c'est à dire sans équivoque, il appelle une adhésion à la représentation, une projection diégétique, même dans une fiction objectivement truquée. Enfin nous ajouterons, au risque d'une banalité, qu'il fait appel à nos deux sens les plus développés, et qu'il a contribué à sur-développer, la vue et l'ouie (pour l'instant ) qu'il convoque simultanément, tendant à accentuer l'aspect « bruyant » qu'on lui reproche souvent. Qui, donc, veut transmettre un message par ce biais doit tenir compte que ce médium est émotionnel.
Cependant, on peut se demander si l'émotion a systématiquement la « vue courte », si les objets qui la convoquent doivent forcément apparaître comme « fermés » et auto-référentiels. Le cinéma, postulé comme émotionnel et spectaculaire, montrant des complexes d'images à la fois spéculaires et totem (unicité habituelle du sens et du référent) auxquels on adhère par réaction, peut-il ménager dans le mouvement une pause autorisant une posture critique ou tient-il systématiquement un discours unidimensionnel et dirigé ? Quand l'émotion nous destinerait à une posture de récepteur d'un discours de type « réponse » ou affirmation, pourrait-elle être suffisamment ouverte pour provoquer une question ou un jugement plutôt qu'un acquiescement ? Cette émotion peut-elle servir de déclencheur qui « redonnerait au processus intellectuel sa flemme et sa passion » et « plongerait le processus abstrait de la réflexion dans la ferveur de l'action pratique » comme le proposait Eisenstein ?
[...] Je prendrai maintenant deux exemples de l'irruption de l'absolu et du rétro-éclairage sur une scène puis sur un film entier. A la fin de la première partie du film éponyme de Medvedkine, le moujik Khmir croit enfin avoir trouvé le Bonheur. Il a de l'argent et s'achète un cheval pour labourer son champ. Malheureusement, le canasson s'endort. Survient sa femme Anna qui endosse le licol (éternelle soumission féminine) et se transforme en bête de trait ; la séquence est hilarante, burlesque. [...]
[...] Que seront les tours du World Trade Center en flammes dans 20 ans ? Il faudrait dire : une image N'est QU'une image. Dans ce contexte, l'efficacité de la propagande nécessite une stratégie de forçage sémantique. Elle repose sur une montée en puissance sans fin du spectaculaire et surtout sur la quantité qui, autorisée par les media de flux, vise à saturer l'espace (physique et psychique) de signes. Elle doit toutefois s'appuyer sur des structures déjà tangibles, sur des parties saillantes comme disent les ethnologues. [...]
[...] On peu penser qu'a chaque évocation de cette émotion, l'esprit réinvestira la problématique proposée alors. Cependant un absolu didactique peut paraître paradoxal car il mélange d'une part le rétro-éclairage qui agit comme une sorte de limitation et d'autre part l'ouverture qui permet le traitement d'un point et/ou la naissance d'un questionnement. Nous pouvons considérer l'absolu comme sentiment de clôture ou comme intuition de vérité, d'où son aspect de fixité, de pause, de respiration, qui fait prendre conscience d'un autre possible, hors de cette vérité (en termes badiousiens on pourrait parler d'un révélateur du compte-pour-un). [...]
[...] Ce contenu, de part la complexité de sa composition et sa singularité photographique, duplicata de la réalité, fait plutôt réagir le destinataire. Le sens crée par une image cinématographique fait intervenir en grande partie des mécanismes de sensation et de représentation très prompts à adhérer aux stimuli et au discours sous- jacent. Quand le cinéma ménagerait des pauses, des respirations, (lenteurs, stases quand notre esprit serait assez rapide pour traiter envisager le message assez longtemps pour en dégager l'intention ou du moins lui prêter un sens, le médium est réactif ; il conjugue réalité et émotion. [...]
[...] il tente de la rattraper, trop tard, elle est montée dans le bus, il voie un facteur en vélo Pour être comprise, la narration doit souscrire à un minimum de règles (codes) et présenter une certaine dose de nouveauté sous peine d'endormir l'auditoire. L.Creton voit dans le succès (commercial) d'un film une dialectique nouveauté-habitude[12], on peut penser qu'une émotion fonctionne aussi selon cette dialectique. Il ne faut pas que le spectateur perdre le fil avant que se produise la nouveauté Dans le cadre normal, les impératifs financiers du cinéma (qui par ailleurs est une industrie tendent à faire prendre aux films le minimum de risques en développant une nouveauté à l'intérieur de cadres institué. [...]
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