« La question de la subjectivité (du réalisateur ou du personnage) trouve à s'exprimer de manière spécifique à travers plusieurs formes filmiques particulières. Veuillez développer cette problématique sur un mode à la fois théorique (esthétique) et historique (traversant les époques muettes, classiques, modernes et contemporaines du cinéma), en illustrant votre propos d'exemples de votre choix et, évidemment, en prenant appui sur plusieurs formes filmiques singulières. »
Les premières images du cinématographe peuvent aisément être qualifiées d'« objectives » : l'arrivée du train en gare de La Ciotat est un pur enregistrement du réel, une quasi-actualité documentaire. Toutefois, certains éléments – notamment l'absence de regard-caméra de la part des passagers – nous permettent de penser que les frères Lumière avaient élaboré une mise en scène, en donnant des trajectoires précises aux figurants et en leur demandant de ne pas regarder l'objectif.
Ainsi, l'image aurait été non pas simplement enregistrée par une caméra, mais pensée par un cinéaste. Dans ce sens, aucun film ne peut être dit objectif : même lorsque le réalisateur s'efforce de s'effacer derrière sa fiction, chaque plan, préalablement passé au filtre de sa subjectivité, en porte la marque. Dire d'un plan qu'il est « objectif » (par opposition à un plan qui épouserait le regard « subjectif » d'un personnage) n'a donc pas de sens.
Ce que l'on appelle « plan subjectif », en tant que représentant le regard d'un personnage, relèverait alors d'un deuxième niveau de subjectivité, opérant au sein même de la fiction cinématographique. C'est aux formes de cette subjectivité que nous allons nous intéresser, ainsi qu'à la question de la subjectivité du cinéaste.
[...] Le baiser n'est pas suggestif outre mesure, mais le cadrage l'est : Hitchcock ne cache rien, il nous montre toute l'action, mais nous la montre simplement à l'envers. Si l'on tourne l'écran d'un quart de tour vers la droite, on se rend compte que toute la composition du plan, le décor, la lumière, les mouvements des personnages s'accordent pour permettre la vision des deux héros faisant l'amour dans un lit (cf photogrammes). Enfin, le dernier point qui pourrait être un obstacle à l'expression de la subjectivité du cinéaste est l'adaptation, et plus encore le remake. [...]
[...] la subjectivité du spectateur : un choix subjectif du cinéaste 1. Les formes tyranniques : la subjectivité imposée Alain Bergala écrit qu'« on peut considérer qu'un film, même réussi, qui prend son spectateur en otage pour le faire s'identifier à un personnage abject est un film suspect lui-même d'abjection[12] L'idée que le traitement du point de vue est un critère d'évaluation de l'éthique du cinéaste est à la base de la critique de Rivette sur Kapo. Mais on peut également penser que ce n'est pas seulement le travelling sur une femme se jetant sur les barbelés électrifiés qui est en quelque sorte amoral, c'est le travelling lui-même, qui pousse le regard du spectateur sur quelque chose qu'il ne veut pas forcément voir. [...]
[...] Certains films filment, comme Fight Club, l'imagination d'un personnage, mais poussent le procédé si loin que certains plans sont dépourvus d'instance énonciatrice, et sont théoriquement impossibles. Les plans de Tyler sans le narrateur étaient envisageables dans Fight Club, car dans les séquences où il apparaît seul, il est le narrateur qui se prend pour Tyler. On a dans ce cas affaire à un dédoublement des acteurs pour un même rôle, comme dans Cet obscur objet du désir de Buñuel, dans lequel deux actrices jouent les deux facettes d'un même personnage. Le narrateur imagine donc Tyler, mais il l'est également. [...]
[...] Jean-Loup Bourget, dans Hollywood, la norme et la marge, explique qu'il est plus difficile, mais toujours possible d'avoir un style propre quand on fait des films à Hollywood. Les exemples de cinéastes exilés sont particulièrement intéressants, car on observe une certaine continuité de l'œuvre réalisée dans le pays d'origine à l'œuvre américaine, qui est souvent plus marquante que la rupture. Ainsi, on retrouve dans les films américains de Fritz Lang les mêmes obsessions que dans ses films allemands. Lang est un bon exemple d'émancipation relative des codes, non seulement par sa continuité avec l'œuvre allemande, mais aussi par son travail de dénonciation de la machine hollywoodienne. [...]
[...] Les échecs du M de Losey et du Psycho de Gus Van Sant semblent confirmer qu'un film ne peut pas être refait, pas plus qu'un livre ne pourrait être réécrit. Mais le remake est envisageable lorsqu'il entretient une réflexion sur le film modèle : Nobuhiro Suwa, dans H Story, met en scène cette réflexion sur Hiroshima mon amour, en mettant littéralement en scène le tournage du film et les interrogations et motivations du réalisateur (à travers des discussions entre Suwa et ses amis). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture