Pas de Printemps pour Marnie, « grand film malade » d'Hitchcock d'après le mot de Truffaut, présente les agissements d'une voleuse, elle-même prise au piège par son employeur, qui décide de l'épouser plutôt que de la livrer à la police. Mark Rutland est ainsi la figure de l'enquêteur, mais aussi celle de l'amoureux. Quant à Marnie, c'est une voleuse et une menteuse pathologique, mais Hitchcock prend un malin plaisir à nous faire prendre son parti, dans un film où le suspense joue pleinement. La focalisation joue un grand rôle dans la poétique du film, et relève d'un dispositif complexe, fondé sur l'alternance entre focalisation unisciente avec l'un ou l'autre des personnages, et sur les emplois successifs des focalisations unisciente, omnisciente et nullisciente selon les moments et les effets recherchés. Nous verrons dans un premier temps comment la focalisation unisciente avec Marnie, ou avec Mark permet de les caractériser, et permet au spectateur de développer un sentiment de familiarité avec eux. Puis nous analyserons comment Mark mène l'enquête, et comment Hitchcock gère sa supériorité cognitive par rapport à Marnie et au spectateur, avant d'étudier la construction du suspense au niveau de la trame narrative du film.
[...] Pour percer le mystère Marnie, Hitchcock emploie une grande variété de types de focalisation, afin de créer le suspense. III/ L'installation du suspense La scène du vol est ainsi exemplaire de la façon dont Hitchcock distribue les informations afin de créer le suspense. Le spectateur est en avance sur Marnie, puisque l'écran dédoublé en un split-screen naturel lui apprend l'arrivée de la femme de ménage. Ce dernier voudrait prévenir le personnage de ce qui va se passer : heureusement, la tension retombe quand Marnie aperçoit la femme à travers la vitre. [...]
[...] Le jeu de la simultanéité crée une complicité entre Marnie et le spectateur, qui prend alors le parti de la voleuse. Quant aux décisions que Mark prend à son égard, et dont nous prenons connaissance en même temps que Marnie, elles déclenchent aussi de vives réactions de sa part, mais d'une toute autre nature, Marnie se sent alors prise au piège, et se comporte comme une bête traquée. Plusieurs de ces scènes se passent alors qu'ils sont en voiture, et l'exiguïté du lieu ne lui permet aucune fuite, quand Mark décide par exemple de la présenter à son père, ou quand il lui annonce qu'il ne compte pas la livrer à la police, mais l'épouser ! [...]
[...] Le passé s'éclaire, et le film se clôt sur une double déclaration d'amour : celle de la mère à sa fille, celle de Marnie à Mark. Ainsi cette alternance de focalisations s'organise autour du personnage de Marnie, afin de percer son mystère. Le spectateur apprend un certain nombre d'informations en même temps que Mark, tout comme il reste sur le seuil de la compréhension tant que tous les morceaux du puzzle comportemental ne sont pas réunis. Le spectateur partage aussi les réactions de Marnie, avant le rôle libérateur de la dernière scène, où le système cognitif devient transparent pour tout le monde. [...]
[...] Partager ces informations permet au spectateur de se familiariser avec Mark, de l'accompagner dans sa logique d'enquêteur, et lui fait partager le désir de percer le mystère de Marnie. Dans certains cas, c'est avec Marnie que le spectateur prend connaissance de certaines informations, qui déclenchent souvent de vives réactions de sa part. Quant il s'agit du futur vol qu'elle veut commettre, on peut lire ses réactions alors qu'elle enregistre ce que lui dit la secrétaire, à savoir qu'elle possède la clé du tiroir qui donne accès au code que son supérieur ne parvient jamais à retenir. [...]
[...] Dans la scène suivante, Mark apprend de la bouche de Strutt qu'une jeune femme brune a volé l'entreprise. Dans la dernière scène, le spectateur prend connaissance de la scène traumatique grâce au flash-back, alors que Marnie verbalise la scène à Mark. La même information est ainsi distribuée différemment : Mark en prend connaissance par le discours d'un autre personnage, par la parole rapportée, alors que le spectateur y accède par l'image. Il arrive aussi que le spectateur et Mark fassent usage des informations qu'ils possèdent sur Marnie, alors qu'elle ignore qu'ils les possèdent. [...]
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