La parole au service de l'histoire et de la mémoire : le témoignage dans Shoah de Claude Lanzmann (1985)

Thèmes abordés

Parole au service de l'histoire, parole et mémoire, témoignage historique, Shoah, Claude Lanzmann, mémoire collective, documentaire, parole testimoniale, traduction, mise en scène, montage de la parole

Résumé du document

En l'absence d'images d'archives, mais en dialogue avec ce qu'il reste (ou non) sur les lieux du crime, la parole des témoins (victimes, criminels ou spectateurs) occupe une place centrale dans l'attestation et dans la transmission de l'événement. Coconstruite, cette parole est également collective en ce qu'elle intègre un montage choral où les voix des témoins s'accordent ou non entre elles et à celle du cinéaste, auteur et maître d'oeuvre du récit comme du discours cinématographique. Shoah porte exclusivement sur le comment du génocide tel qu'il peut être restitué au présent par la parole de ceux qui en furent les acteurs, les victimes ou les spectateurs.

Extraits

[...] ) caractérisent la  parole vive  du témoin que Claude Lanzmann nous invite à entendre au début de Sobibor 14 octobre heures (2001). On observe tout au long du film un jeu de variations très important entre les témoignages et au sein d'un même témoignage, l'émotion du témoin pouvant se traduire aussi bien par une brutale accélération que par un ralentissement proche de l'extinction de la parole. Ces variations comme la catégorie difficilement définissable du  naturel  jouent également un rôle crucial en ce que la parole du témoin doit a priori échapper à une profération monocorde qui la rapprocherait de la lecture ou de la récitation. [...]

[...] Témoigner équivaut toujours à  donner sa parole  : parole accordée au cinéaste et au film, autant que promesse de vérité faite au cinéaste et aux spectateurs. Mode d'emploi L'exemple de Shoah, ainsi que d'autres documentaires mémoriels, peut être mobilisé pour illustrer la place prise dans les sociétés contemporaines par la ou les paroles individuelles dans les champs cinématographiques et médiatiques, et plus globalement dans l'espace public, où la parole des témoins rend notamment à remplacer celle de l'expert. Le film de Claude Lanzmann est également très utile pour comprendre et analyser ce qui différencie le texte de la parole, car il permet des développements sur l'acte et le contexte qui font exister ce texte et en déterminent le sens. [...]

[...] Monter les paroles : la corroboration et le discours de l'œuvre À l'échelle du film et de son montage choral, la singularité de la parole propre à chaque témoin, qui en fait le prix et qui légitime sa place, se voit également rapportée à la manière dont ces paroles sont découpées et intégrées au montage.  Le film est fondé sur la corroboration, d'où sa longueur : la vérité s'atteste en permanence à des niveaux différents, on creuse. En même temps, une concordance apparaît parce que j`ai toujours posé les mêmes questions. [...]

[...] Lanzmann recourt très fortement à un montage jouant de la séparation et de la conjonction entre les lieux du témoignage comme parole (l'entretien présent) et comme récits (les lieux passés). Cette conjonction est structurante pour tout le film, que Lanzmann hésita d'ailleurs à intituler  Le Lieu et la Parole  . Les témoignages in situ et en situation Une seconde catégorie de dispositifs s'appuie sur conjonction dans le champ de la parole et du lieu, qui n'est donc plus le fruit exclusif du montage, mais où ce dernier s'appuie sur leur coprésence devant la caméra. [...]

[...] La parole au service de l'histoire et de la mémoire : le témoignage dans Shoah de Claude Lanzmann (1985) En l'absence d'images d'archives, mais en dialogue avec ce qu'il reste (ou non) sur les lieux du crime, la parole des témoins (victimes, criminels ou spectateurs) occupe une place centrale dans l'attestation et dans la transmission de l'événement. Coconstruite, cette parole est également collective en ce qu'elle intègre un montage choral où les voix des témoins s'accordent ou non entre elles et à celle du cinéaste, auteur et maître d'œuvre du récit comme du discours cinématographique. [...]