Par quels moyens David Lynch nous incite-t-il à voir dans la stratégie spéculaire une mort de la personne et une mort du sens ? Afin de répondre à cette question, nous tâcherons d'étudier les jeux de ressemblance, et en particulier les jeux de miroir successifs mis en oeuvre dans Mulholland Drive : en débutant notre étude par l'analyse du rôle du miroir dans la construction identitaire de Rita et Diane, nous verrons comment le moi se perd entre dédoublements et fusion, subissant l'insolvable dilemme de Narcisse jusqu'à une mort inéluctable. Nous poursuivrons par l'étude du miroir en tant que figure de construction du film par inversement symétrique, figure que nous mettrons en rapport avec la théorie freudienne du travail du rêve et de la paranoïa. Enfin, l'image ultime que nous renvoie le film est celle de deux miroirs posés face à face, d'une extrême mise en abyme, d'une spirale infernale de l'autoréférence où une image ne ressemble qu'à elle-même, néantisant toute profondeur, tout sens. Nous tâcherons d'étudier cet échec de la ressemblance en tant que mode de compréhension dans un dernier mouvement de notre analyse
[...] Enfin, troisième moment, décisif celui-là, l'enfant va reconnaître l'image du miroir comme étant la sienne. Le stade du miroir du personnage de Rita est ainsi mis en scène: d'abord interdite devant sa propre image, elle se reconnaît soudain, et simultanément, projette sur son identité en creux l'image de Rita Hayworth. En effet, de nombreuses interprétations du stade du miroir donnent à penser que reconnaître son image dans un miroir, à l'inverse de l'introspection, revient à s'identifier à une extériorisation de son moi. [...]
[...] Dans Mulholland Drive, la troisième fois est souvent la bonne : Diane voit par deux fois son cadavre allongé sur son lit avant de mourir effectivement, dans la même position; le cow-boy avait averti Adam : si tu me vois deux fois, tout va bien, mais si tu me vois trois fois C'est Diane qui le voit pour la troisième fois, c'est elle qui en meurt. La troisième fois est toujours celle de la réalisation, du retour a la réalité (c'est le cow- boy qui réveille Diane), la troisième fois est le lien tenu et magique entre le rêve et la réalité. Travail du rêve et travail de la réalité se superposent et se mêlent, avertissant une fois encore que tout ceci n'est qu'illusion. B. [...]
[...] Cette clef bleue plate n'a de valeur que par son image, elle n'a pas de sens en soi puisqu'elle n'ouvre rien : elle est juste l'image qui signifie que le meurtre a été accompli ; cet objet est détourné de sa fonction pour ne devenir qu'une image, qu'un symbole. De même, dans le rêve, de manière encore plus prononcée, la clef bleue ne mène à rien : la boîte bleue qui lui correspond (ceci est signifié par la forme et la couleur de la boîte, par analogie) est entièrement vide. Rita possède une clé qui n'a aucun sens non plus puisque la boîte qu'elle ouvre ne contient aucun autre secret que le néant. [...]
[...] Ainsi, en suivant l'évolution de la véritable Diane, le spectateur a toujours en tête, comme une persistance oculaire, l'image de la première Diane, de Betty. Ainsi, Lynch, dans la séquence de la réalité, n'a pas besoin de préciser à nouveau la nature de la relation entretenue par Diane et Camilla. Ce jeu de ressemblance est tout de même ambigu : les deux personnages représentés par la même identité physique ne sont pas totalement différenciés, ils sont deux facettes de la même personne, se complètent et forment l'image cubiste d'un objet de référence similaire. [...]
[...] Le spectateur se laisse prendre au piège des indices, se laisse entraîner dans un jeu de piste qui tourne en rond. Il n'y a rien derrière les indices que l'image d'eux-mêmes, car ils sont indices par leur répétition dans des contextes différents, mais ils ne sont indices de rien. Le cas de la boîte bleue est le plus flagrant, et ce d'autant plus qu'elle apparaît dans le Club Silencio, l'endroit où il faut arrêter de vouloir chercher un sens derrière l'illusion, où l'on enjoint le public à se contenter de la superficialité illusoire de l'image que l'on donne à voir, sans essayer de chercher plus loin, sans être surpris ou déçu lorsque se révèlent la supercherie et le néant qui habitent la vraisemblance. [...]
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