« Il faut fermer les yeux pour voir » disait James Joyce. Bresson poursuit la même idée : c'est dans le noir, dans le creux, les jointures, que jaillit l'éclat, la lumière d'une vérité, Bresson s'évertuant à fouiller le domaine de l'indicible pour accéder au réel, à l'être en opposition au paraître et à l'artifice d'une représentation. La représentation est cette couche du visible qui rend inaccessible le réel qu'elle emprisonne selon la thèse du philosophe Clément Rosset. Or, pour dissoudre toute enveloppe représentative, il faut fouiller l'ombre, ce qui est caché, non exposé, ceci pour accéder à l'âme, ne pas s'arrêter au corps qui la sculpte. Il s'agira de voir ici comment la nouvelle de Bernanos fournit à Bresson un instrument parfait pour mener complètement cette aventure intérieure, à savoir, « passer de l'ombre à la lumière », enjeu fondamental du cinématographe.
Déjà, les journaux de l'époque, enthousiastes devant la cruauté saisissante de Mouchette louait son cinéaste pour avoir réussi à faire « ressentir l'indicible » tout en talonnant de près un écrivain qui, par son style littéraire, s'éloigne des préoccupations bressonniennes. Pourtant, l'environnement social, le personnage de Mouchette et la figure d'un corps mis à mal par le viol et le suicide sont trois thématiques fondamentales donnant à Bresson l'occasion d'imposer son « cinématographe ».
[...] Présentation du film- L'enjeu de l'adaptation, la critique Mouchette est sorti en 1967. Inspiré de la nouvelle de Bernanos, Nouvelle histoire de Mouchette, le film n'est pas la première adaptation pour le cinéma d'un texte de Bernanos par Bresson. Dix ans plus tôt, le cinéaste réalise Le journal d'un curé de campagne, adaptation largement saluée par Bazin. Ici aussi, Bresson fait preuve de fidélité envers son auteur, mais d'une manière à la fois plus fine et radicale, subtile et déconnectée du trop plein littéraire d'un monologue intérieur scandé par la voix-off. [...]
[...] On touche au cœur du cœur l'être. L'invisible est rendu visible par ce corps dégagé, disparu de l'image. Plus aucune représentation du personnage. L'âme s'envole et accueille les notes du Magnificat de Monteverdi. Ainsi le cheminement est clair : Mouchette est un bloc d'ombre, qui cache, retient plus que n'expose, réduite à la mécanique de geste inhérente à une vie misérable, solitaire, sauvage. Petit à petit, l'ombre va se dissiper laissant place à l'éclat passionné de l'être qui s'y cache : sourire, étonnement, rencontre avec l'autre puis chair écorchée, corps ombrageux qui se dépouille, enlève sa cuirasse, d'une part par l'intermédiaire du viol, de l'autre par le suicide. [...]
[...] Il est là, derrière ce front, ses joues rappelons-nous Bresson évoquant ses modèles. Le personnage construit par Bernanos offre de ce fait à Bresson la possibilité de travailler dans le noir, dans ce qui est caché, qui ne s'offre pas d'emblée à la vue. L'acteur n'a de valeur que par ce qu'il cache non ce qu'il montre : Sur leur visage, rien de voulu Mécanique et non-expressivité. Modèles devenus automatiques et lâchés au milieu des évènements de ton film, leur rapport avec les personnes et les objets autour d'eux seront justes parce qu'ils ne seront pas pensés dit Bresson. [...]
[...] Le vrombissement d'un tracteur qui s'éloigne est remplacé par l'écho sec des cloches de l'église. La civilisation, l'univers du village n'atteignent plus mouchette, déjà enrobée d'une atmosphère sonore mortifère propice au hors lieux qu'elle habite. Le corps roule, se confond avec la nature, les herbes accueillent sa chute. Recadrage, accompagnement léger de la caméra puis corps qui quittent l'image. Il n'est plus qu'un bruit, un frottement contre l'herbe rêche, une pierre qui tombe dans l'eau. Seule reste visible l'étoffe froissée au bord de l'étang. [...]
[...] Le rendu sonore David Lynch, comme Bresson, accorde une grande importance à l'atmosphère sonore qu'il compose lui-même. Selon Michel Chion, Lynch et Bresson (il ajoute aussi Tati), pratiquent l'art du rendu sonore qu'il définit ainsi dans La toile trouée : l'idée de rendu sonore s'oppose au bruitage strictement reproducteur de la réalité : préférer le son qui, sans rompre forcément avec sa fonction réaliste, donne l'idée, le sentiment de et non qui reproduirait fidèlement une réalité sonore supposée. Il s'agit là aussi de prendre à rebrousse-poil une représentation pour privilégier une sensation, un être sonore. [...]
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