La période du cinéma muet des années 1920 connaît une évolution importante en ce qui concerne l'exploitation des procédés cinématographiques dans un but esthétique. Parmi les cinéastes de l'époque, les « avants-gardes russes », regroupant notamment Koulechov, Poudovkine, Vertov et Eisenstein, se distinguent par leur exploitation privilégiée du montage dans un but idéologique. Néanmoins, tous possèdent une conception particulière du montage. Vsevolod Poudovkine se différencie par sa tentative de conciliation entre discours idéologique et structure narrative cohérente, et par son intérêt particulier à la psychologie des personnages.
[...] À la suite de son enseignant Koulechov, Poudovkine reprend la théorie selon laquelle une association de plans produit une idée. Cependant, il va insérer cette idée dans une continuité narrative, si bien que tel que le remarque Jay Leyda : le montage-liaison [de Poudovkine] dépassait la conception de la construction brique par brique qui était celle de Koulechov. Alors que les autres avant- gardes mettent relativement de côté la fonction narrative, Poudovkine l'intègre, et grâce au montage, l'utilise au service de son discours idéologique (discours qui dans La Mère, peut être résumé par l'espoir d'une pérennisation des mouvements révolutionnaires malgré l'échec final). [...]
[...] On remarque aussi qu'un même objet va changer de sens selon le cadre dans lequel il se situe. En effet, la bouteille était déjà mise en avant au début du film, mais comme la représentation de l'alcoolisme touchant les ouvriers, dans un PR sur la table des cents-noirs Ainsi, pour Poudovkine : une particularité prend sa pleine signification quand elle est comprise comme l'expression d'un tout. Toute généralité n'acquiert de sens que lorsqu'elle s'exprime dans le particulier. Cette conception empiriste du montage à l'avantage d'adapter l'idée abstraite, qui ressort du détail, au service du récit et de ne pas s'enfermer dans un schéma rigide tel que l'apparaît parfois la théorie du montage dialectique d'Eisenstein. [...]
[...] On retrouve ici le fameux principe de suggestion du montage, qui laisse le spectateur rétablir les liens entre les plans en devenant ainsi actif Un autre exemple de suggestion par le montage de Poudovkine, c'est, bien qu'étant courant à l'époque du muet, la simulation des sensations. Sensations auditives, comme le coq qui chante ou le sifflement de la cheminée, tactiles, tel l'effet du vent sur les arbres ou l'eau de la Néva, et olfactives, comme l'haleine alcoolisée des cents- noirs. Poudovkine montre des éléments qui par eux-mêmes suggèrent le bruit ou l'odeur. [...]
[...] si bien que La participation est plus totale que dans toute autre forme filmique. Fort d'aspects parfois trop lyriques (selon l'expression de Mitry) et tragiques du cinéma de Poudovkine, de scènes chargées d'héroïsme patriotique révélant un contexte politico-idéologique (comme l'écrasement de la mère à la fin du film), ou les références plus ou moins explicites à des œuvres picturales (la mère en tête de file portant le drapeau fait étrangement penser à la Marianne de Delacroix), La Mère reste néanmoins emblématique d'une avancée dans l'esthétique filmique, notamment par son montage éclaté mais totalisant. [...]
[...] En effet, Poudovkine s'attache à montrer des détails, qu'il délimite et fait ressortir par un gros plan. De cette façon, l'objet, apparaissant banal au début dans le cadre qui l'environne, acquiert une symbolique, et devient porteur d'une idée abstraite. Dans La Mère, lors de l'altercation entre les ouvriers dans le bar, le gros plan sur une main tenant une bouteille devient le symbole de la violence. Aussi, comme l'écrit Poudovkine, le gros plan rapproche l'éloigné et ralentit le rapide [ ] il élimine le superflu et concentre sur le nécessaire Le gros plan retient notre attention sur un objet qui, ainsi mis en avant, devient symbole. [...]
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