La mise en scène, expression employée à tous propos, slogan esthétique censé illustrer le talent (ou l'absence totale de maîtrise) du réalisateur reste une notion floue, contingente, que tout le monde (critiques, universitaires, cinéastes) s'empresse de brandir sans prendre le temps de l'expliciter. Il semble d'autant plus absurde de parler de mise en scène à propos d'un cinéaste comme Claude Chabrol, lequel, bien qu'ancien critique des Cahiers du Cinéma, a toujours manifesté, sous son apparente bonhomie, sa méfiance vis-à-vis de toute théorisation du cinéma.
Pourtant, on prétend partir du principe que Chabrol est un théoricien du cinéma, au même titre qu'un cinéaste comme Hitchcock, c'est-à-dire quelqu'un qui a livré tout au long de ses entretiens quelques remarques posées et construites sur le métier qu'il exerce, de sorte que l'on puisse en ressortir quelques lignes de force.
En se basant sur sa conception de la mise en scène développée dans deux de ses ouvrages, "Comment faire un film" et "Un jardin bien à moi", on étudiera dans une première partie les grandes lignes de forces de sa théorie avant de la confronter en seconde partie à deux exemples précis tirés de ses films.
[...] Un léger panoramique s'attarde sur les stalagmites de la grotte puis s'arrête momentanément sur le groupe qui, venant du fond de l'écran, se rapproche peu à peu du premier plan. L'institutrice se détache ensuite et vient au premier plan, c'est alors que le panoramique redémarre, comme pour incarner le regard d'une tierce personne qui se mettrait à guetter une proie, cachée derrière les roches (certains pans de la grotte cachent momentanément les personnages). Pourtant, un effet d'étrangeté n'est souligné que lorsque le groupe est sorti de la grotte. De longs panoramiques suivent toujours les mouvements de l'institutrice, tandis que quelques plans d'ensemble présentent le groupe comme isolé. [...]
[...] Ainsi, le travail de mise en scène commence dès l'élaboration du projet mais s'achève à la fin du tournage. Le montage n'est pas un geste de mise en scène mais l'organisation et la restitution du rythme trouvé avec l'acteur pendant le tournage : En général, je tourne uniquement ce dont le monteur a besoin (Comment faire un film). Cas pratiques On se propose, dans cette partie, de confronter ces quelques considérations théoriques à la réalité des films, et en particulier dans deux séquences issues de deux œuvres de Chabrol : Le Boucher et L'Enfer. [...]
[...] Quelques secondes ? Quelques minutes ? Quelques heures ? Il est impossible de répondre à cette question et de même que le film se conclue sur le mot sans fin on pourrait passer cette séquence en boucle, nous suggère Chabrol, en repartant du dernier plan du film (Paul regardant à la fenêtre) pour redémarrer quelques minutes plus tôt, lorsqu'il guettait les ambulanciers et ainsi de suite, dans un perpétuel mouvement. Soulignons enfin, une nouvelle fois, la prédilection du cinéaste pour la discrétion des effets. [...]
[...] Cette scène s'inscrit totalement à contrario de celle du Boucher. Là où il s'agissait de minimiser les effets, il est ici question de les multiplier afin d'illustrer l'état mental du héros. Mais ici encore, Chabrol reste fidèle à sa conception de la mise en scène. On ne mènera pas, contrairement à l'extrait précédent, une analyse linéaire mais on se contentera de souligner quelques points. Tout d'abord, on constate la même volonté de conserver l'acteur au centre du mécanisme de la mise en scène, alors que le cinéaste tente de représenter un univers mental. [...]
[...] A l'intérieur d'une scène, le choix d'un cadrage suggère des choses différentes (Un Jardin bien à Moi p223). Citons, à titre d'exemple, les nombreuses occurrences des miroirs qui viennent soit souligner le caractère double de Paul (qui se prétend sain et qui est en réalité fou) soit la nature factice de ses hallucinations, le flou sur le cadavre de Nelly que Paul croit avoir tué alors qu'il voit dans le même plan sa femme attachée au lit ou le moment où le cadre se déséquilibre lorsque Paul proclame qu'il n'est pas fou. [...]
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