En 1940, sous la houlette des studios, les metteurs en scène qui sont nommés à ce poste se doivent d'obéir à un certain nombre d'injonctions tout en usant de leur autorité sur les équipes qui leur sont confiées. Ils ont un cahier des charges particulièrement drastique à remplir, avec en tête la menace permanente du renvoi, ou du remplacement : ils sont sous contrat, et ne seront pas licenciés aussi facilement, sauf faute grave ou dénonciation du contrat, mais les films qui leur seront confiés dépendront de leur capacité de travail : s'ils déméritent, ils seront désormais des tâcherons auxquels échoueront les basses besognes ; s'ils se révèlent à la hauteur, les films de prestige leur seront confiés : Casablanca, Captain Blood, Yankee Doodle Dandy, Mildred Pierce, Angels with dirty faces, The sea hawk, The adventures of Robin Hood…. C'est dans ce contexte que Michael Curtiz, l'auteur de tous ces classiques va travailler pour la Warner Bros à partir de 1926.
[...] Néanmoins l'influence immédiatement reconnaissable lorsque l'on voit les films qui nous sont parvenus est plus celle du cinéma américain, même si pour survivre, les producteurs de ces films, notamment la firme Sascha Films, vont devoir s'allier avec d'autres pays : L'esclave Reine est une coproduction Austro-Allemande, et Fiacre situé à Paris, mais tourné à Berlin,bénéficiera en plus de capitaux français, tout en présentant une actrice Parisienne, Lily Damita. Les films autrichiens de Curtiz sont assez étonnants à voir aujourd'hui, et si aucun ne montre une vision précoce du génie légendaire dont Curtiz saura faire preuve dans de nombreux films américains, ils sont suffisamment riches pour qu'on y reconnaisse au moins la patte de leur auteur. [...]
[...] DeMille ou Erich Von Stroheim, recréer dans ses moindres détails. Cela passait en particulier par une profusion de luxe, comme en témoignent de nombreux plans et de nombreuses scènes de Robin Hood : rien n'obligeait Curtiz, pour un plan de la tablée ou trônait Claude Rains en Prince Jean et Olivia de Havilland en Marianne, à faire débuter la prise de vue par un panoramique de la salle de banquet, incluant le passage de nombreux figurants marmitons et la représentation de victuailles fumantes, et donc authentiques. [...]
[...] Il agissait bien en auteur, rendant personnel tous les films auxquels il s'attelait, et les signant d'une manière essentiellement visuelle : par des ombres. Les jeux d'ombres de Michael Curtiz, auxquels j'ai déjà fait allusion ici et là, sont la caractéristique la plus visible de l'art baroque de ce grand metteur en scène, une signature qui n'a pas une signification, mais plusieurs suivant les films. C'est un reste de la période durant laquelle Curtiz était l'un des représentants les plus prestigieux du cinéma européen, une période justement marquée par les jeux visuels allemands, dans lesquels la lumière et le noir jouaient un rôle déterminant ; c'est une façon élégante de montrer sans montrer, comme le cinéaste l'a fait dans Doctor X , nous faisant comprendre que des actions terrifiantes avaient lieu(Un plan nous montre Fay Wray interrompant une séance de dissection, par exemple : l'actrice ouvre une porte, et s'adresse à son père hors champ ; la caméra se dirige alors vers la droite, et on aperçoit les ombres de plusieurs hommes s'affairant autour d'une table d'opération ; on ne verra pas plus, mais le message est passé.) ; d'autre part, c'est un moyen utilisé par Curtiz pour donner plus de force et plus de résonnance aux images : Dans Captain Blood, une autre opération, vue en ombre chinoise et interrompue par la police aura l'effet de provoquer l'accusation de Peter Blood, entrainant sa vie de hors-la-loi ; enfin, c'est aussi une façon pour Curtiz de donner une vision de l'absolu: Dans The adventures of Robin Hood, une fois que leur duel a lieu, Erroll Flynn et Basil Rathbone s'affrontent à l'épée de pièce en pièce , et ce, à la lumière de bougies. [...]
[...] C'est d'ailleurs à cette époque que Curtiz, ainsi que d'autres cinéastes de la Warner (Walsh en tête), va redéfinir le film de gangsters, et donner naissance à un nouveau genre, qui va dominer le cinéma américain des années 40 : le film noir. Chez Curtiz, le fameux Angels with dirty faces(1939), qui prolonge le film de gangsters en le dotant d'un aspect nostalgique, en montrant des gangsters rattrapés par leur passé, est un fleuron du genre, en même temps qu'un film empreint du profond pessimisme de Michael Curtiz. C'est ce pessimisme, déjà largement présent dans d'autres films de ce metteur en scène, qui va désormais prévaloir. [...]
[...] On retrouve l'errance perpétuelle, déjà présente avant 1935, qui dominait les premiers films avec Erroll Flynn, dont Captain Blood(Capitaine d'un bateau, décidément une métaphore bien pratique pour dépeindre l'exil et l'insatisfaction qui en découle) ; l'un des films les plus personnels de cette période, The sea wolf (1941), nous montre Edward G. Robinson, en capitaine de bateau en butte perpétuelle aux courants du monde, ne trouvant sa place nulle part La résonnance de ce thème omniprésent dans la propre vie du double exilé Curtiz est très forte. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture