Apparu en France dans les années 40, le film noir hollywoodien serait une alliance (pour réemployer la terminologie de Leutrat), entre le film policier et le mélodrame (celui précédant l'apparition du film noir, avec ces figures et typages précis). Selon Bordes et Chaumeton, théoricien phare du film noir, l'enquête criminelle se doublerait d'une intrigue amoureuse.
Comme l'assassin à démasquer, il s'agira dans Laura de trouver les empreintes du mélodrame, de voir comment il se niche au coeur du film noir pour en dessaisir l'opacité.
« La dramatisation trouve le lieu et l'heure » prévient Jacques Lourcelle, évoquant la structure dramatique de Laura. C'est donc à pas feutrés que le mélodrame s'inscrit dans l'histoire et vient graduellement et véritablement s'imposer. L'intrigue policière passe au second plan des tribulations sentimentales de personnages « mélodramatiquement » noirs.
[...] Mark comprend que l'assassin est Waldo Lydecker. Celui-ci tente de tuer Laura mais Mark intervient in extremis avec ses collègues. Waldo est tué. Rebondissements et figures moralement instables émaillent le résumé de Patrick Brion. Le film noir se présente d'abord comme un film policier pourvu d'une trame fictionnelle propre à désorienter tout son monde, personnages et spectateurs compris. Mais c'est surtout les typologies propres au mélodrame qui semblent être abandonnées au profit d'autres typologies plus ambivalentes. Ces figures issues du film noir ne s'embarrassent d'aucune éthique et d'aucun sentiment. [...]
[...] Le détective privé, la femme fatale, le tueur désabusé sont autant de figures à la morale ou sexualité douteuse. Le mélodrame s'efface au profit du cynisme ambiant, à priori désaffecté de tout affects. Le détective McPherson, censé, de par son statut, incarner le respect de codes sociaux établis, semble toutefois s'écarter des règles morales qu'il doit pourtant s'efforcer de représenter. En effet, Mc Pherson déroule nonchalamment son calepin, fume une cigarette, mastique outrageusement un chewing-gum, fouille comme un gosse la maison en touchant à tout, brutalise Shelby et défonce sans vergogne le bas de l'horloge d'un coup de pied tout en baladant un visage impassible, un bavardage discret, ironique, parfois trivial, reléguant les créatures de l'autre sexe au charmant qualificatif de poule terminologie prosaïque portée à son comble quant ledit enquêteur s'entiche d'une probable meurtrière (Laura est un temps soupçonnée du meurtre). [...]
[...] Or, dans la structure narrative du mélodrame recensée par Bourget, le flash-back est un procédé récurrent servant à modeler le récit mélodramatique, à faire émerger l'aveu, propre à la thématique du secret cher au mélodrame (ici le secret n'en est que plus valorisé, soutenu par le mystère planant au-dessus de la mort de Laura) de même que la thématique d'un portrait à (re)construire ou qui se matérialise dans la réalité : Dans le mélodrame, comme dans le conte de fée, comme dans le roman victorien, certains objets inanimés n'en ont pas moins une âme. Lorsque ces objets sont figuratifs ou représentatifs, ils se substituent de façon magique au modèle dont ils sont l'image ou l'icône : ainsi, la licorne de verre, ou le portrait, soit bénéfique, soit maléfique, qui apparaît dans le mélodrame avec une grande fréquence Bourget). Nous voilà basculés dans une forme de hors temps, hors monde pendant un instant ; est-ce l'imaginaire de l'enquêteur que l'on suit pas à pas ? [...]
[...] Par exemple, Laura est une femme qui a réussi à s'imposer dans le milieu publicitaire et dont le parcours est un exemple de réussite sociale. Dans une scène, Laura confie à Mc Pherson qu'étant petite, elle déroulait ses rêves de carrière devant une mère attachée au fourneau préoccupée à lui apprendre une nouvelle recette. Deux portraits de femmes s'opposent ici : un plus traditionnel et soumis à ses obligations domestiques, une femme dévouée au mari travailleur, et l'autre, moderne, rêveur et insoumis, celui de la future femme fatale dont la sexualité débridée paiera le tribut de cette émancipation. [...]
[...] Le jeu sur la lumière contribue donc à l'éruption d'un sentimentalisme jusque-là retenu même si le dialogue fait tout pour l'occulter, litote révélatrice d'un Mc Pherson troublé : J'avais besoin d'un cadre officiel Les procédés cinématographiques ajoutent une forme de dramatisation lorsque celle-ci ne fait qu'effleurer l'histoire, en témoignent aussi ces mouvements brutes et soudains d'une caméra venant chercher un visage, se jeter sur une expression afin de donner de l'ampleur à ce qui n'est que confrontation verbale. Le ton minimaliste du film noir croise le trop plein stylistique du mélodrame. Dans leur tout premier dialogue, le face à face Mc Pherson/Lydecker obéit à cette logique de gros plans simultanés d'une caméra lointaine venant tout à coup se rapprocher des corps afin d'exagérer une tension dramatique pourtant balbutiante. [...]
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