Les années 20 sont un tournant de l'histoire du cinéma, c'est en effet à cette période qu'est mise au point la possibilité technique d'accompagner l'image de son de manière synchrone. En effet, la sortie du long métrage « The Jazz Singer » représente l'avènement de l'ère du cinéma parlant. Parlant, le terme est juste, car le cinéma a toujours été sonore grâce à l'aide d'orchestres ou de bonimenteurs. Ce qui prouve bien que le cinéma a toujours été pensé sonore, le son n'est pas une contingence que l'on a rajoutée au cinéma, mais il fait bien partie de l'essence même du septième art et c'est un point sur lequel bien des réalisateurs s'accordent, notamment Eisenstein qui dans son manifeste de 1929 en collaboration avec Poudovkine et Alexandrov parle « de cette chose muette qui a enfin trouvé sa voix ». Si le cinéma n'est pas né parlant, cela ne relève que du manque de moyens techniques pour permettre la synchronisation de la bande sonore. Mais pendant les années 20, les pays industrialisés ont voulu relancer leur économie en inventant de nouveaux procédés techniques. C'est pourquoi on assiste à un véritable développement des techniques liées au son, qui aboutissent de manière différente dans les pays d'Europe et aux Etats-Unis. En Allemagne, Tobis Klang fait breveter son système et à la même époque aux Etats-Unis, la General Electric Warner exploite également son nouveau système de capture du son. Les premiers films sonores, bien qu'ils ne présentent pas de nouveaux intérêts sur le plan purement artistique ont un impact considérable sur le public et les gens du métier.
Pendant une première période, les films parlants se contentent d'un synchronisme parfait et réaliste entre l'image et le son. Cependant, cette avancée va bouleverser un certain nombre de codes développés dans le cinéma muet. En effet, le muet s'était chargé de toute une tradition symbolique à laquelle Eisenstein avait largement contribué. C'est donc toute l'esthétique du symbole qui est mise à mal. Néanmoins, ce bouleversement présente des points positifs car le cinéma commençait à s'essouffler, se noyer dans des symboles devenus presque caricaturaux. On peut notamment objecter à Eisenstein, la trop grande abondance de symboliques dans ses films, comme dans Octobre de 1927 qui trop lourd de significations cachées en tout genre, perd de sa force dynamique. Le cinéma est avant tout un art de mouvement qui se veut accessible par sa force et sa simplicité. En ce point, le cinéma parlant aura permis de donner un nouvel élan qui ramènera le cinéma vers ses origines et qui lui redonnera sa force d'impression.
[...] Toujours en parfaite synchronisation avec la musique, le troisième plan arrive avec une montée dans les aigus des cordes. Puis une nouvelle fois, dépression, trou d'air Cette seconde dépression nous amène à un plan très large de la ligne de l'armée russe. Ainsi, comme la mélodie tombe dans les graves, la caméra montre ce qui est en bas, au sol, après les hommes sur les rochers. Le montage joue alors sur l'opposition entre verticalité du plan précédent et horizontalité de celui-ci. [...]
[...] C'est pourquoi nous allons nous pencher vers un exemple plus intéressant : celui de la collaboration entre le réalisateur Eisenstein et le compositeur Prokofiev. Eisenstein et Prokofiev font partie de la même génération de ces jeunes gens qui étaient très enthousiastes à l'avènement du nouveau régime communiste, voyant là, un possible monde plus juste. Mais l'un comme l'autre, surtout parce qu'ils sont artistes, ont très vite été déçus. Prokofiev dira en public La recherche d'une langue musicale qui corresponde à l'ère du socialisme est difficile. [...]
[...] Une nouvelle dépression dans le thème permet de faire arriver un plan d'ensemble des troupes russes. Mais cette fois-ci, la caméra est placée derrière les hommes, à l'intérieur même des troupes, ce qui nous donne l'impression d'être inclus dans les rangs de l'armée russe. Le thème de l'attente s'arrête, la caméra filme un horizon d'où rien ne semble bouger, ce moment paraît être comme suspendu. Ici, Eisenstein choisit un plan de l'horizon vide, silencieux. C'est alors que résonnent des trompes de guerres qui jouent un nouveau motif musical, que l'on nommera thème des Teutons Les soldats teutons ne sont pas encore là et pourtant on les entend déjà, c'est une sorte de hors champ sonore Cela montre bien la volonté de non-réalisme du réalisateur. [...]
[...] Le synchronisme entre la musique et les plans est quasiment parfait ce qui laisse supposer que, tout d'abord, Prokofiev a construit sa musique avec un souci aigu du travail d'Eisenstein et qu'ensuite, le réalisateur a attentivement écouté la bande-son et s'en est servi pour monter ses plans. Cette séquence illustre fort bien la réelle collaboration des artistes. Les visages des soldats russes sont alors filmés en plan rapproché, tous ont le regard fixé sur l'horizon. La caméra est fixe, l'expression des acteurs figée. Seule la musique nous fait comprendre que quelque chose va se produire, ici, elle donne sens et dynamisme à l'image. [...]
[...] En effet, le compositeur russe apportera un regard nouveau sur la façon de traiter la fugue et le contrepoint tout en apportant une modernité incontestable Eisenstein et les musiciens : Prokofiev A l'arrivée du parlant, c'est avec Prokofiev que s'associe Eisenstein. Cependant, ses films muets ont connu une relecture par de nombreux compositeurs. Pour le cuirassé Potemkine par exemple, trois versions musicales différentes ont été associées au film, il s'agit de la musique de Meisel, Krioukov et Chostakovitch. La version de Meisel est la seule qu'entendit Eisenstein. A l'époque, elle était jouée durant la projection par un orchestre. [...]
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