Les fragments d'Antonin de Gabriel le Bomin, sorti en salles en novembre 2006, s'inscrit à la suite d'une série de films français ayant pour thème la première guerre mondiale, réalisés depuis le début des années 2000. Après le succès de La chambre des officiers de François Dupeyron en 2001, sont sortis respectivement Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet (2004), Les âmes grises d'Yves Angelo (2005), et Joyeux Noël de Christian Carion (2005). Bien que très différents les uns des autres, tant dans les thèmes abordés que dans la façon de les traiter, ces films présentent certains éléments communs qui permettent d'avancer l'hypothèse qu'ils sont caractéristiques de la manière dont la société française du début du XXIe siècle se représente le conflit qui a marqué l'avènement du XXe siècle.
Dans cette optique, Les fragments d'Antonin est un film tout à fait significatif de l'évolution actuelle des sensibilités et des connaissances concernant la guerre de 1914-1918, et plus généralement de la place du fait guerrier dans notre société. Il s'agit du premier long métrage de fiction d'un réalisateur venu du documentaire. Gabriel le Bomin a effectué son service militaire au « service cinéma des armées » où il a eu accès à de nombreuses images d'archives et a été amené à réaliser des films de commandes sur des sujets militaires. Par la suite, il a réalisé plusieurs documentaires sur la première guerre mondiale pour la télévision et des musées. Son premier court métrage de fiction, Le Puits, se passe également en 1916. L'histoire du film Les fragments d'Antonin lui a été inspirée par des images d'archives du service médical des armées, qui apparaissent d'ailleurs au générique de début.
Le film a en effet pour sujet les traumatismes psychiques extrêmement graves qui ont touché des hommes revenus du front après la guerre de 1914-1918. Il relate l'histoire d'Antonin, un jeune instituteur interné dans l'unité psychiatrique d'un hôpital militaire, à la fin de la guerre. Prostré, mutique, incapable de communiquer avec le personnel médical, Antonin présente des symptômes similaires aux autres malades de l'unité : son corps est secoué de tremblements, de tics et de gestes répétés inlassablement. Il est pris en charge par le docteur Labrousse, qui expérimente sur lui les découvertes scientifiques récentes en matière de psychiatrie. Il cherche par des stimuli sensoriels –la vue d'un casque de poilu, ou encore le bruit d'un sifflet d'officier¬– à lui faire revivre et extérioriser les événements traumatisants qui le hantent. Ainsi, par des flash-back qui s'entremêlent, le spectateur revit les souvenirs de guerre d'Antonin au fur et à mesure qu'ils resurgissent en lui. Il y a d'abord ceux du front : l'attente terrifiante de l'assaut dans la tranchée, la mort d'un camarade juste à côté de lui, les gaz, les blessures par éclats d'obus et l'acte de tuer lors d'un corps-à-corps. Il y a ensuite les souvenirs de l'arrière, lorsque, après sa blessure au front, il est affecté au corps des colombiers : la vision des blessés agonisants au poste de secours, la participation à un peloton d'exécution, mais aussi l'apaisement procuré par la relation aux pigeons voyageurs, et par les soins prodigués par la femme infirmière. A chacun de ces souvenirs marquants correspond un geste convulsif d'Antonin à l'hôpital psychiatrique. La tension du film se concentre autour d'un mystère : comment Antonin en est-il arrivé à un tel délabrement psychique, quel est l'évènement déclencheur qui l'a mis dans cet état ?
Ce résumé montre bien que ce film écrit et réalisé par Gabriel le Bomin aborde des questionnements nouveaux par rapport aux précédents films sur la Grande Guerre. Depuis 1918, chaque époque a apporté sa contribution cinématographique à la réflexion sur ce conflit, et on constate une évolution au cours du temps quant à la façon dont celui-ci est représenté. Il s'agit donc de se demander quelles sont les spécificités propres aux films de la décennie 2000, et quels sont les rapports entre ces derniers et Les fragments d'Antonin. Notre hypothèse principale est qu'ils ont en commun une réflexion sur la première guerre mondiale qu'on pourrait qualifier d'individualiste, c'est-à-dire centrée sur la question des répercussions sur l'individu de l'expérience de guerre totale moderne, à laquelle sont confrontés pour la première fois en 1914-1918 les soldats occidentaux. Nous commencerons par montrer en quoi cette approche individualiste est une spécificité du cinéma de ces dernières années, puis nous nous attacherons à détailler les modalités de ce discours centré sur la destruction totale de l'individu par la guerre dans Les fragments d'Antonin, en le comparant aux autres films français sortis en France sur le sujet depuis 2000, en particulier La chambre des officiers, Un long dimanche de fiançailles et Joyeux Noël.
[...] D'ailleurs, par la suite, alors qu'il a été renvoyé à l'arrière, Antonin se préoccupe peu de cette blessure dans le dos qu'il ne voit pas, puisque c'est l'infirmière qui lui fait remarquer qu'elle s'est rouverte. Ces atteintes au corps sont donc des éléments secondaires dans le film, elles ne sont pas présentées comme faisant partie des évènements fondateurs du trauma. En fait, c'est la crainte du dommage corporel, et donc de la mort, qui est pire que la blessure elle-même. [...]
[...] Bibliographie AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, La guerre au XXe siècle L'expérience combattante, paris, La Documentation Française p. BARROIS Claude, Psychanalyse du guerrier, Paris, Hachette p. CADE Michel, La Grande Guerre dans le cinéma français : une mise à distance in CAUCANAS Sylvie et CAZALS Rémy, Traces de 14-18. Actes du colloque de Carcassonne, Carcassonne, Les Audois pp.91-102. CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges (dir.), Histoire du corps Les mutations du regard : le XXe siècle, Paris, Le Seuil p. CROCQ Louis, Les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob p. [...]
[...] De plus, il propose un renouvellement du propos du film de guerre, accompagné en cela par les autres films de notre corpus : il ne s'agit plus de faire une condamnation morale ou politique de la guerre, mais de montrer que les modalités de la guerre totale inaugurées en 14-18 ont conduit à une totalisation des atteintes à l'intégrité de l'individu, que ce soit sur le plan moral, psychique ou corporel. Les réalisateurs des années 2000 relaient en cela la perception de la guerre par une opinion française culturellement démilitarisée et démobilisée, qui dénonce le scandale que constitue le sacrifice de l'individu à une logique collective, incompréhensible pour une société en paix. Le regain d'intérêt du cinéma français pour la première guerre mondiale peut aussi s'expliquer par une volonté de réindividualiser la masse des victimes de 14-18, alors que la génération des témoins directs disparaît. [...]
[...] L'histoire du film Les fragments d'Antonin lui a été inspirée par des images d'archives du service médical des armées, qui apparaissent d'ailleurs au générique de début. Le film a en effet pour sujet les traumatismes psychiques extrêmement graves qui ont touché des hommes revenus du front après la guerre de 1914- 1918. Il relate l'histoire d'Antonin, un jeune instituteur interné dans l'unité psychiatrique d'un hôpital militaire, à la fin de la guerre. Prostré, mutique, incapable de communiquer avec le personnel médical, Antonin présente des symptômes similaires aux autres malades de l'unité : son corps est secoué de tremblements, de tics et de gestes répétés inlassablement. [...]
[...] cit. p. 135-138. DANIEL Joseph, op. cit. p JACQUET Michel, op.cit, p.49. L'auteur a intitulé son chapitre : 14- 18 : la “mauvaise” guerre CADE Michel, art.cit, p.100 JACQUET Michel, op.cit. [...]
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