Dans son ouvrage "Le Film Noir. Vrais et faux cauchemars", Noël Simsolo introduit son sujet en esquissant une définition qui procède par élimination. En effet, pour lui : "le film noir n'est pas un "genre" spécifique, comme le sont le western ou la comédie musicale. Ce n'est pas non plus un mouvement artistique fédérateur, comme le furent le néoréalisme italien, la Nouvelle Vague française, le cinema nuovo ou le Free Cinema britannique. Il ne développe d'ailleurs aucune plateforme théorique."
Cette entrée en matière pour le moins prudente qui consiste à tenter de cerner le film noir en rappelant ce qu'il n'est pas apparaît comme la plus pertinente dans le cadre d'un livre présentant le genre. Car si les dates de début et de fin du mouvement ne sont généralement pas remises en question, la question de savoir quels films y ranger pose problème. La réalité du film noir ne fait pourtant aucun doute, ne serait-ce que par sa spécificité par rapport aux productions antérieures, desquelles il se démarque nettement. Comme le précise Simsolo plus loin dans sa réflexion : "ces œuvres bousculent la bienséance d'usage depuis que le code Hays impose la censure à Hollywood. Elles ouvrent aussi de nouvelles directions dans les catégories auxquelles leur scénario les rattache : mélodrame, thriller, suspense, drame, social ou gothique. On y trouve une récurrence de thèmes : dualité malheureuse, aliénation sexuelle, perte d'identité, angoisse existentielle. Divers styles convergent en figures déroutantes dans des structures désarticulées."
La nouveauté du ton et la similitude des thèmes, donc, seraient les points communs les plus évidents. Mais cela suffit-il pour définir un genre cinématographique? Et dans le cas contraire, quelle approche permettrait de rendre compte de l'unité du film noir autrement que de manière purement historique? En d'autres termes, quelle est la nature des caractéristiques communes aux films dits noirs?
[...] Ebranler les mythes fondateurs de l'Amérique et éveiller un sentiment d'insécurité nationale et individuelle. ( ) Le film noir "intériorise" une crise extérieure liée aux incertitudes politiques et économiques qui accompagnent la fin de la Seconde Guerre mondiale et il "extériorise" une crise intérieure, vécue au sein de la famille américaine et attribuée à une remise en cause de la fonction sociale traditionnellement dévolue aux sexes.[25] Cet extrait de l'article de Delphine Letort met en rapport les éléments internes et externes aux productions d'une manière cohérente. [...]
[...] En effet, trop d'éléments disparates entrent dans sa composition pour que l'on puisse la prendre comme base solide pour amorcer une définition du genre. La difficulté d'accoler une étiquette au film noir soulève une question fondamentale : comme le rappelle Stankowski, there is an ( ) argument about film noir as a genre is it or is it not ? Puisque les éléments constitutifs du film noir, tels que les thèmes développés ou l'atmosphère s'en dégageant, ne permettent pas d'établir un lien entre les œuvres que l'on a l'habitude d'y ranger, sous quel éclairage leur homogénéité apparaîtra-t-elle donc? [...]
[...] La notion d'existentialisme, non mentionnée jusqu'ici dans les différentes approches passées en revue, est employée d'après la définition qu'en donne Robert Porfirio. Dans son ouvrage No Way Out: Existential Motifs in Film noir, Porfirio defines existentialism as "an outlook which begins with a disoriented individual facing a confused world that he cannot accept"[20] and goes on to say that existentialism's negative side "emphasizes life's meaninglessness and man's alienation; its catch-words includes 'nothingness', 'sickness', 'loneliness', and 'nausea'."[21] Aborder le film noir par le biais de l'existentialisme permettrait en effet d'apporter des réponses à certaines questions laissées en suspens par les autres approches évoquées. [...]
[...] Mais alors que Stankowski met l'attitude existentialiste des personnages des films noirs au cœur de sa réflexion et en fait l'élément unificateur du genre, Delphine Letort opte pour une définition féministe qui fait de la nouvelle place de la femme le point commun à toutes ces productions. La question se pose donc de savoir laquelle des deux interprétations est la plus pertinente et permet le mieux de rendre compte du noir comme d'un genre homogène. Dans un article intitulé Feminist Film Theory: Mildred Pierce and the Second World War, Linda Williams analyse les deux approches féministes en matière de critique cinématographique appliquée au film noir, à savoir l'approche psychoanalytique et sémiotique d'une part, et sociologique et historique d'autre part, le tout dans le cas du film Mildred Pierce, paru en 1945. [...]
[...] En d'autres termes, comment les critiques français ont-ils pu percevoir dès les prémices ce qui est devenu évident aux yeux des critiques d'outre-Atlantique et d'outre-Manche qu'à la lumière du courant dans son entièreté? Raymond Borde et Etienne Chaumeton avancent que c'est au cours de l'été 1946 que le public eut la révélation d'un nouveau type de films américains ( ) qui avaient en commun une atmosphère insolite et cruelle, teintée d'un érotisme assez particulier Si cette esquisse de définition va dans le même sens que celle amorcée par Higham et Greenberg, les Français la nuancent néanmoins quelques lignes plus loin, en précisant : On simplifierait le problème à l'excès, en qualifiant le film noir d'onirique, d'insolite, d'érotique, d'ambivalent et de cruel Il y a de tout cela dans la série, mais c'est tantôt l'onirisme qui domine ( ) tantôt l'érotisme ( ) Souvent le côté noir d'un film ne tient qu'à un personnage, une scène, un décor.[12] Il semblerait donc, d'après ces précisions supplémentaires, que le côté noir d'un film ne puisse être déterminé par des caractéristiques touchant à son atmosphère. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture