Nanook of the North (1922), réalisé par Robert Flaherty, raconte la vie d'une famille d'Eskimos, celle de Nanook, choisie par le réalisateur pour représenter une communauté qu'il a d'abord étudiée pendant longtemps avant de faire son film. Entre commentaires écrits et images muettes, le film donne à découvrir et à comprendre la culture de cette population tout en narrant le quotidien du héros. Le film est un succès commercial, et il est aussi considéré le premier film ethnographique. Avec Dziga Vertov, et malgré l'opposition de l'Union Soviétique, le « cinéma vérité » (kinopravda) est inventé et projeté dans le monde entier. La caméra devient un œil ouvert sur le monde. En France au même moment, Jean Vigo essayait lui aussi d'utiliser la caméra libre pour montrer tout simplement le comportement de ses contemporains à travers leur culture dans A propos de Nice.
Le cinéma ethnographique est né de ces trois efforts, mais sa naissance reste un processus difficile. De l'expérience de Flaherty, mais allant dans une direction contraire, est né le cinéma « exotique », fondé sur le sensationnalisme, l'étrangeté de l'Autre, le racisme et l'inconscience de soi, pourrait-on dire. D'autre part, Marcel Mauss engage le cinéma ethnographique sur un autre chemin, celui de l'exhaustivité scientifique. Il encourage ses étudiants à tout filmer, à laisser la caméra fixe capter tous les gestes, comportements, techniques. De ce mouvement naissent les premiers films ethnographiques français de Marcel Griaule, et les films de P. O'Reilly, océanographe et cinéaste. Mais la seconde guerre mondiale interrompt ces projets. Ce n'est qu'après-guerre que Jean Rouch donne suite à ces avancées, tout en représentant un bouleversement par rapport aux productions antérieures et une innovation profonde tant dans la forme que dans la nature du film ethnographique.
J'aimerais consacrer cette étude du film ethnographique dans son contexte à l'œuvre du cinéaste et ethnologue Jean Rouch. Né à Paris en 1917, après des études d'ingénieur des Ponts et Chaussées, Rouch se lance dans l'ethnographie et le cinéma. Cameraman de ses films, il invente une nouvelle façon de filmer, légère, sorte de « ciné-plaisir », passant du réel à la fiction. Au-delà des inventions formelles, c'est toute une philosophie et un véritable engagement politique que Rouch met en œuvre. Son travail semble donc « révolutionnaire », et il ouvre selon moi des possibilités encore incomplètement explorées.
Mon analyse visera donc ici à comprendre comment et pourquoi les films de Jean Rouch bouleversent le paysage du film ethnographique de l'époque, et s'il s'agit là réellement d'une rupture, de l'apparition d'un nouveau type de cinéma.
C'est à cette fin que je m'attacherai à souligner les passerelles qui existaient et/ou existent :
- entre ses films et l'évolution du cinéma (innovations techniques mais aussi thèmes, formes, politique, philosophie mise en œuvre dans les films),
- entre son œuvre et le contexte social et politique de l'époque, notamment l'influence du surréalisme et l'évolution de la situation coloniale d'après-guerre.
- entre son œuvre et les sciences humaines qu'il contribue à faire évoluer, grâce à l'approfondissement des intuitions des précurseurs Flaherty et Vertov, réunies par un sens nouveau qui souhaite allier recherche scientifique et distribution des films à un public le plus large possible.
[...] Ce qui est un atout considérable pour l'éthique du scientifique et l'exposition de son travail auprès des personnes concernées. En 1948 a lieu le premier congrès du film d'ethnologie. Au niveau du cinéma commercial, l'influence du film ethnographique n'est absolument pas négligeable non plus, dans le sens où celui-ci a engendré le déclin d'un certain nombre de films de Walt Disney et de séries telles Le Continent perdu qui se déclaraient documentaires sans l'être. Or exploiter des mensonges sur l'autre à des fins lucratives n'est pas justifié, comme peuvent l'être des fictions. [...]
[...] D'autre part, Rouch agit en faveur de l'émergence d'un cinéma africain. En évitant l'exotisme et en s'intéressant par exemple aux difficultés du contact de l'Afrique avec la modernité mais aussi en reconnaissante ses propres limites (il n'est pas africain) et en promouvant un cinéma fait par les africains pour les africains, presque inexistant jusque dans les années 1960 et encore faible jusqu'aujourd'hui. Son action reste malgré tout de l'ordre du discours, mais il propose dès les années 1960 des rapports analysant les tendances et les conditions du développement d'un cinéma africain, etc. [...]
[...] Stoller, les films politiques de Rouch représentent un prolongement cinématographique du théâtre de la cruauté imaginé par Artaud. L'objectif est de présenter au public des images dérangeantes visant à le transformer psychologiquement et politiquement. Tout comme Artaud qui prônait les spectacles transformateurs, seule solution à l'asphyxie sociale, dans les ethno-fictions de Rouch, la narration cède constamment le pas à son objectif philosophique (Stoller). Son but ultime est de mettre son public, en majorité Européen, en face de ses préjugés culturels, de son ethnocentrisme, de son racisme refoulé et de son primitivisme latent. [...]
[...] Ou encore Reichenbach et Marker, qui restent cependant plutôt du côté du reportage stylé formellement que du cinéma vérité Pendant la guerre, les caméras 16mm sont utilisées avec succès, et les films peuvent ensuite être agrandis au format standard de 35mm. La caméra, désormais portée, devient donc beaucoup plus discrète et de plus simple utilisation. La couleur elle aussi simplifie la vie des cinéastes, en leur évitant de nombreuses préoccupations d'éclairage. Cela permet la naissance du cinéma direct, où le cinéaste devient un acteur de la situation. C'est à cette époque que de jeunes ethnologues commencent à filmer les comportements qu'ils observent, considérant le film comme des notes d'observation. Mais il reste un grave problème de son. [...]
[...] Cours de montage dans le village indien. Divino Tserewahu, réalisateur. Meu Primeiro Contato, de Mari Corrêa et Cumaré Txicão, retrace en mêlant fiction et réalité l'histoire de l'arrivée des Blancs au village des Ikpeng. [...]
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