Il est assez difficile à la lecture des livres d'entretien avec Fellini et même ses propres œuvres parlant de cinéma, d'extraire une poétique chez le cinéaste, une règle qui sous-tend sa mise en scène. En effet, il est plus question dans ces ouvrages de son enfance, d'anecdotes de tournages, de ses rencontres et le cinéma par et pour lui-même, la manière de faire des films sont très peu abordés. Si on lui demande "Quelle est la philosophie du film? Y-a-t-il un objectif caché au-delà de celui de proposer un divertissement au spectateur?", il vous répondra "je ne sais jamais que réponde à ce genre de question. Je crois que je fais des films parce que je ne sais rien faire d'autre".
De plus, il ajoute " je ne reconnais point de systèmes à l'intérieur de mon travail et, à plus forte raison, je ne sais pas en fournir aux autres."
Comment dès lors essayer d'extraire une conception de cinéma et de la réalisation, sans faire dire à l'auteur ce qu'il n'a pas dit? Nous nous baserons pour cette présente étude sur deux ouvrages : l'un écrit par Fellini lui-même et duquel nous avons tiré la citation ci-dessus intitulé Faire un film, dans lequel malgré le titre il est très peu question de la manière de faire un film; l'autre est une transcription d'entretiens avec Giovanni Grazzini. Nous essaierons d'abord d'après la petite quantité de propos essentiellement cinématographiques de déterminer de grandes voies pour cette analyse et nous tenterons par la suite d'étoffer par l'impression générale que laissent ces écrits, tant il est vrai que Fellini est autant un cinéaste qu'un narrateur d'atmosphère.
Il nous a semblé très clair à la lecture donc de ces livres que se dégager trois grandes idées sur la conception du cinéma du réalisateur italien. Tout d'abord, la nécessité pour faire un film d'une grande liberté de manœuvre, telle qu'avec d'autres médiums pratiqués par Fellini le dessin et l'écriture. Puis, un cinéma qui propose une autre définition du réalisme, de la réalité comme rêve et enfin le cinéma en tant que moyen particulier d'expression.
Nous tenons juste à remarquer avant de commencer que Fellini ne parle jamais qu'en son nom, il n'existe pas ou alors très peu de phrases du style " un film doit..." ou " pour faire un bon film...". Il existe -il est vrai- des phrases qui tente de définir le cinéma mais Fellini n'oublie jamais que le cinéma comme les réalisateurs sont multiples et à vrai dire, plutôt il les oublie parce que le cinéma des autres ne l'intéresse pas forcément. Comme il l'aime à le dire, il n'a jamais vu les classiques de l'histoire du 7ème art. Il se fraye sa propre voie, voie qui ne manque jamais d'originalité.
[...] "Mes expériences, mes voyages, mes amitiés, mes rapports commencent et finissent dans les studios de Cinecittà. Tout ce qui existe au-delà des grilles de Cinecittà, ce sont des affluents, un dépôt énorme et merveilleux, à piller, à transposer à l'intérieur de Cinecittà."[24] Ces propos sont assez explicités et semblent renverser la vision habituelle que l'on se fait de l'art : conventionnellement, le film est secondaire par rapport à la vie et doit l'aider, l'exalter; ici il semble plutôt que ce soit la vie même qui soit être au service du film, tout évènement acquiert sa valeur que par le fait qu'il puisse être transporté au studio. [...]
[...] La machinerie Fellinienne apparaît comme un gigantesque chapiteau de cirque, une organisation spectaculaire. Ainsi Linda Polan, l'une des cantatrices du film E la nave va, témoigne: Cela a été une expérience extraordinaire, comme de vivre dans un zoo, un zoo heureux[8] Il se crée d'ailleurs une sorte d'intimité, comme si le studio devenait un gigantesque lieu de vie, de colocations et Fellini explique que, à la fin du tournage, quand d'autres équipes commencent à investir le plateau pour préparer leur film, il ressent un sentiment intense d'intrusion, de violation. [...]
[...] " Dans sa véritable nature, le film est indescriptible avec des mots."[12] La pratique du scénario est d'ailleurs pour lui, souvent une torture, tant il est vrai comme nous venons de le dire, que les mots ne rendent pas compte de la réalité filmique. Il accorde que l'écriture scénaristique est une étape nécessaire et obligatoire. "Les mots, l'expression littéraire, le dialogue, tout cela est séduisant mais obscurcit l'espace précis; la nécessité visuelle qui constituent un film. Je crains le scénario. Odieusement indispensable."[13] Ainsi, le cinéma a-t-il son domaine propre, sa vie propre. " Le cinéma raconte ses mondes, ses histoires, ses personnages avec des images."[14] Et sa spécificité est le visuel, l'image. [...]
[...] II Un art autonome et à part entière Le cinéma, comme 7ème art Fellini semble reprendre la longue tradition de cinéastes revendiquant l'autonomie du cinéma et devancer les dires de Deleuze sur le cinéma et l'art en général. " Chaque œuvre d'art vit dans la dimension dans laquelle a été conçue et exprimée." Pour le réalisateur, le cinéma est un moyen d'expression autonome, il a sa propre spécificité, que nous verrons plus loin. Retrouvant la longue lignée des cinéastes tels Eisenstein il réaffirme donc le cinéma comme 7ème art et n'approuve pas le rapprochement cinéma-littérature. [...]
[...] Ainsi, le cinéma muet garde une certaine nostalgie pour le réalisateur, comme le montre le début de E la nave va . avec son hommage à ce cinéma disparu. " Le film muet, en effet, a sa mystérieuse beauté."[17] Cinéma et télévision : différences fondamentales La télévision est ainsi pour le réalisateur totalement autre, bien qu'elle soit visuelle, elle ne l'est pas au sens du cinéma, ce qui montre bien que la spécificité du cinéma réside dans un visuel, une image particulière. [...]
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