Le 7 janvier 2004 paraît le second film d'Abdellatif Kechiche : L'esquive. Réalisé presque sans aucune aide, le film raconte l'histoire de jeunes lycéens d'une cité, travaillant sur une pièce de Marivaux : Le jeu de l'amour et du hasard. Le tournage qui a eu lieu dans le quartier de Franc Moisin à Saint-Denis avec des acteurs non professionnels fait souvent penser à un documentaire tant par ses prises de vue (beaucoup de gros plans et de mouvements de caméra qui suivent les personnages dans leurs déplacements) que par le naturel des comédiens qui ne sont ni maquillés ni coiffés. Dès lors on s'attend à retrouver les thèmes de la violence et de la drogue malheureusement si courants dès qu'il est question des cités. Mais Adellatif Kechiche dépasse les clichés pour offrir aux spectateurs une nouvelle vision de cette banlieue souvent diabolisée : « On a fait une telle stigmatisation des quartiers populaires de banlieue, qu'il est devenu quasiment révolutionnaire d'y situer une action quelconque sans qu'il y ait de tournantes, de drogues, de filles voilées ou de mariages forcés. Moi, j'avais envie de parler d'amour et de théâtre pour changer » dit-il. Le pari est-il réussi ? Quelle vision des cités le réalisateur transmet-il à travers son film ?
[...] Derrière la frime la fragilité Tous jouent au caïd : Fathi mais aussi les filles. Frida hurle que son grand frère va niquer la race de son agresseur, Lydia demande à Magalie si elle est suicidaire pour venir la provoquer Mais leur langage truffé d'insultes et d'agressivité cache une certaine fragilité qui s'exprime principalement par la peur du qu'en dira-t-on Frida s'étonne que Lydia n'ait pas eu honte de traverser toute la cité dans sa robe de théâtre, Fathi met en garde Krimo : tu vois pas que tu te fais une réputation de bâtard De même Magalie demande à Lydia : Tu crois que les gens ils parlent pas ? [...]
[...] En effet le titre rend bien compte de l'atmosphère du film : tout n'est qu'esquive. La première scène où il est question de vengeance entre deux cités laisse présager un film sur la violence alors qu'il n'est question que de sentiments. Même les personnages se fuient sans cesse : Lydia esquive Krimo qui lui-même fuit Magalie puis Lydia dans la dernière scène du film. Mais le mot esquive fait aussi partie d'une didascalie dans la pièce de Marivaux, source de tout un réseau de significations qui donne au film son originalité et sa force. [...]
[...] En effet, il vouvoie la mère de Krimo, l'appelle madame et demande des nouvelles de son mari. De même, après avoir légèrement bousculé Frida et Nanou pour les éloigner de la voiture, il aide cette dernière à s'asseoir à côté de lui. C'est également un ami fidèle, prêt à se battre pour venger un copain ou l'aider dans sa relation amoureuse. Cette ambiguïté du personnage est par ailleurs révélée par certains choix de prise de vue. Par exemple, dans la scène où il agresse Frida, Fathi est filmé en contre plongé, autrement dit dans une position de dominant qui amplifie encore son agressivité face à la jeune fille qui est filmée en plongée. [...]
[...] Quelle vision des cités le réalisateur transmet-il à travers son film ? La Cité : des stéréotypes inévitables L'esquive présente la banlieue à travers son aspect le plus sulfureux : les cités sans faire l'impasse sur les thèmes qui les caractérisent, qu'ils soient péjoratifs ou bien réels. Le décor : Islam et Grisaille Au milieu des HLM et des espaces bétonnés, c'est l'Islam qui est massivement représenté dans L'esquive : quelle que soit leur origine tous jurent sur le Coran de La Mecque et ponctuent leurs phrases à grand renfort de inch'allah ; dès qu'une scène se déroule à l'intérieur et en privé, elle est filmée sur fond de musique orientale (c'est le cas chez Krimo ou dans la voiture de Fathi à la fin du film) . [...]
[...] A tel point que le livre en devient presque un objet précieux : quand la police vient les arrêter, Frida refuse de leur donner son livre qu'elle cache contre son cœur. Dès lors, Le jeu de l'amour et du hasard semble être un élément crucial pour ces jeunes qui rêvent d'évasion (cf II). La pièce touche les personnages au plus profond d'eux-mêmes. Le jeu de l'amour et du hasard Le film insiste sur un thème particulier de l'œuvre de Marivaux : l'idée de conditionnement social. [...]
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