Pas toujours facile de se faire remarquer lorsqu'on débute dans le burlesque en tant que personnage secondaire. Les débuts de Joseph Frank Keaton,alias, ‘Buster' se font avec le partenariat de Roscoe 'Fatty' Arbuckle lors de diverses courts métrages. Le premier, The Butcher Boy, le montre peu, comme un personnage quelconque, mais sa capacité à remplir l'espace, tant dans l'environnement que le cadre, capte immédiatement l'attention. C'est dans ses premiers films avec la Comique Films, sous la tutelle de Arbuckle, qu'on peut observer la création du personnage de l'homme au visage de marbre, cascadeur invétéré, dont les sourires et la bonne humeur apparaissent encore à l'écran à cette époque, d'autant plus qu'il deviendra plus tard, dans la légende, l'homme qui ne sourit jamais, qu'il va doubler son maître. Fatty lui laissa la place, ne pouvant s'imposer face à ce partenaire aux multiples talents.
Quatre films tournés entre 1917 et 1920 offrent plusieurs exemples de l'utilisation de l'espace au début de la carrière de Keaton. S'imposer même quand on est dans l'ombre, rire et faire rire grâce, et à cause, de l'environnement, des objets et personnages présents… Buster Keaton écrivait, dit-on, une idée sur deux dans les films de Arbuckle. Il savait où son corps de marionnette pouvait être utilisé, et dans quels cadres sont regard naïf et franc ferait le plus grand effet. A travers sa toute première expérience cinématographique The Butcher Boy, et trois excellents courts métrages toujours réalisés avec la Comique Films, The Cook, The Bell Boy et The Garage, je vais tenter de citer le génie burlesque de Keaton dans l'espace, sous tous les angles, et montrer que Keaton, malgré ses personnages qui ont l'air de vouloir s'impliquer dans le décor, donnait surtout l'impression que les décors avaient été construits autour de lui. Car ce génie occupait l'espace par tous les moyens. Gestes, actions, parcours, sorties de champ, et son immobilité et ses expressions faciales captivaient le cadre tout entier.
[...] Espaces rongés par les parcours de Keaton. Danse, course, bagarre, sauvetage, rien n'est épargné. Keaton sait se mettre sur le devant sans en avoir l'air. L'espace du retrait Dans les films avec Fatty, il est toujours derrière, au toujours par terre, sur le côté, même au-dessus et enfin en dessous des autres. Si on le voit, c'est parce qu'il appelle, par le visage, par des ébauches de gestes qui construisent son style. Ses mains toujours sales en porte-voix, son regard amoureux, sa détermination ou sa colère crèvent l'écran. [...]
[...] Alors que dans son premier film il esquisse déjà un sourire, à la vue de Al St John travesti grossièrement en écolière modèle, sourire que nous retrouvons dans les trois films étudiés plus loin, il se fait petit, tant dans l'intrigue que dans le décor. Une première apparition, de dos! Keaton entre dans le cadre sous cet aspect très quelconque, salopette trop large et chapeau plat, des chaussures au bout très long, qui s'étirent vers l'avant et lui donnent une démarche clownesque sans être exagérée. Il s'incruste dans l'espace, droit et perpendiculaire à l'horizon par ce port oblique qui lui vient de ses débuts et que souligne son chapeau plat (Robert Benayoun). [...]
[...] C'est la particularité de Keaton. Son rapport avec l'espace est souvent laborieux. Ses personnages, en difficulté avec leur environnement, sont pourtant toujours prêts à rendre service, malgré ce que ça impose. Évidemment l'espace se veut hostile. L'espace dominant Ainsi le sauveteur Keaton, victime de sa maladresse, arrange la situation des autres et empire la sienne. Il est souvent abandonné par les autres, comme cette image où il est juché sur la tête de cerf (The Bell Boy) après avoir secouru une cliente, qui s'éloigne avec Fatty en lui adressant un simple signe de la main. [...]
[...] L'espace dominé Keaton en guerre. En guerre contre Fatty, contre Al, contre ses clients, contre ses outils, contre l'ascenseur Toujours à terre, ou bien en l'air, il peine à rester stable. Et quand il l'est, il se met presque volontairement dans des situations rocambolesques. Occupant le milieu du cadre dans ce plan, il préfère soudain disparaître derrière le comptoir à l'extrême gauche, comme une crainte d'être au milieu des évènements. (The Bell Boy) Coincé dans l'ascenseur, il passe la tête entre le sol et le plafond, proteste contre la douleur avec une expression totalement détachée, son autre manière d'utiliser l'espace. [...]
[...] Toujours déçu en amour, il n'obtiendra jamais les faveurs de ses dames, s'étant pourtant battu avec acharnement parce qu'il est maladroit, et rarement méchant. Mais un homme qui ne rit jamais ne peut pas conquérir tout l'espace qu'il souhaiterait. C'est ainsi qu'il existe des expressions chez Keaton. Tout l'espace de son visage est constamment agité d'expressions diverses, de la mélancolie à l'éclat de rire en passant par l'indignation. Parce qu'il y a toujours quelque chose qui fait que c'est lui qu'on regarde. Même au milieu d'autres personnes, il va occuper tout l'espace et attirer le regard, par des expressions connues de lui seul. [...]
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