On assiste aujourd'hui à une véritable vague d'oeuvres sur la Seconde Guerre mondiale, films de guerres, recyclages d'archives, documentaires, études, nous faisant ressentir que nous approchons lentement d'une rupture. Certes moins brutale que celle décrite par Ungaretti lorsqu'il disait qu'il y avait « dans le monde des langages quelque chose qui est définitivement fini », mais du même ordre. Les témoins de cette époque se font de plus en plus rares, les plus jeunes ayant plus de quatre-vingts ans. Un patrimoine filmique se referme alors qu'un autre s'ouvre. Celui qui se referme est celui de réalisateurs ayant vécu cette guerre, et réalisant en conséquence des oeuvres consciemment ou non de mémoire - en dehors d'un regard critique précoce que certains pouvaient avoir -.
Depuis déjà plusieurs décennies, d'autres oeuvres ont pu être réalisées sur la guerre, mais beaucoup sans le recul nécessaire, n'abordant la guerre que comme toile de fond en contexte diégétique. Cependant, voyant une rupture de moins en moins indicible apparaître, des réalisateurs réussissent à offrir des oeuvres sur la Seconde Guerre mondiale, sur le nazisme, d'un nouveau genre. Là où les précédentes étaient conclusives, émouvantes, des oeuvres récentes sont uchroniques, fictives, et réfléchissent le nazisme avec un regard contemporain.
Avec un sentiment d'échec, certains intellectuels à l'instar d'Adorno ont pu croire que l'on ne pourrait plus écrire, plus faire de poème après la guerre. Bien au contraire, c'est cette période où on en avait peut-être besoin, où après avoir foncé dans le mur, l'humanité avait besoin d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté dans lesquels elle pourrait s'autojuger, accepter sa peine et gagner sa rédemption.
[...] Pour qu'il y ait démythification, il faut qu'il y ait un processus de mythification. La culture et a foriori le cinéma est utilisé par le Troisième Reich pour mythifier le régime avant même la guerre. Ces films dénoncés après-guerre comme des films de propagande sont souvent réduits à la figure de Leni Riefenstahl, mais on connait aussi l'intérêt très particulier que Goebbels avait pour le cinéma, allant jusqu'à souhaiter pendant l'occupation une mainmise sur le cinéma des autres pays , par exemple via la Continental en France. [...]
[...] L'on montre l'immontrable, le nazisme, par déviation du genre. Et plus généralement l'on présente les danger s d'une société ultra-surveillée, ultra contrôlée par un pouvoir politique omniprésent et omnipotent qui contrôle autant son pouvoir que ses contrespouvoirs, et donnant l'illusion d'un équilibre et d'une liberté. V for Vendetta (film americanogermano-anglais de James McTeigue), est un film d'anticipation qui nous plonge dans un monde quasi post-apocalyptique, où la Grande Bretagne est un régime totalitaire et où le maître-mot est sécurité. Pour cette sécurité, toutes les libertés sont réduites, le contrôle absolu : les mêmes détiennent le législatif, l'executif et le judiciaire. [...]
[...] Deux procédés sont à distinguer : le brouillage des figures, des identités, et le parodique. L'on peut noter Inglorious Basterds de Quentin Tarantino en 2009 qui relève de la première catégorie (le méchant jeune nazi ne se révèle qu'à la fin, les résistants sont gouvernés par la violence, la cruauté, la haine et une volonté de destruction, le collabo n'est pas un mauvais bougre, au contraire, mais on lui force terriblement la main) ; malgré un ancrage diégétique européen, des acteurs français, le film est américain. [...]
[...] Adopter une telle attitude empêche précisément de distinguer le double visage du Troisième Reich, ce mélange de violence et d'enjolivement de la réalité et, plus encore, de reconnaître le rapport instrumental qui existe entre la politique criminelle et cette belle apparence qui lui était indispensable : le décorum, les mises en scène, les créations de mythes Le nazisme fascine par son culte de la beauté et l'illusion de réponses qu'il donne à une angoisse. Nombre de philosophes se sont penchés sur cette question et relient le totalitarisme à une peur contemporaine de la liberté. [...]
[...] Réuni autour d'un symbole (une vague), d'un geste (mouvement de la vague avec la main), uniformisation des vêtements, les étudiants, d'abord réticents, sont progressivement conquis, à l'instar du spectateur, par cette communauté soudée, où chacun à sa place, où le marginal est intégré, où le fort défend le faible, où 15 Benjamin (Walter), Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, Francfort / Main p.49- Kracauer (Siegfried), De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand 1919-1933 Première édition : 1946, Flammarion, Collection Champs Contre-Champs p 17 Didi-Huberman (George), Images malgré tout , Paris, Éditions de Minuit p. p.8/9 tout le monde s'entre-aide. Quel plaisir d'être soutenu, de se sentir appartenir à une force qui dépasse l'individu. [...]
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