C'est en 1963 que Jean Luc Godard réalise son cinquième long métrage intitulé « Les Carabiniers », un film engagé tourné en seulement trois semaines avec très peu de moyen. L'histoire raconte celle de deux frères, Ulysse (interprété par Marino MASSE) et Michel Ange (Albert JUROSS) vivant en toute misère au beau milieu d'un terrain vague avec leur sœur et leur mère, Venus et Cléopâtre (respectivement incarnées par Geneviève GALEA et Catherine RIBEO). Ce pays imaginaire, dirigé par un Roi invisible, entre alors en guerre avec des contrées inconnues ; par conséquent, tous les citoyens sont contraints de partir au front. Face aux promesses de richesses mirobolantes faites par les recruteurs, les deux protagonistes finissent par s'engager, après quelques moments d'hésitation et de méfiance. C'est ainsi qu'Ulysse et Michel Ange deviennent à leur tour des carabiniers, des soldats violant et tuant les populations sous toutes les latitudes.
C'est dans ce contexte atypique que commence l'aventure. Mais ce qui frappe tout au long du film, c'est sa violence, filmée sans règles de bienséance, et son humour au cynisme acéré. Résultat : Les carabiniers est une œuvre libérée de toute règle, de toute contrainte, qui vient clairement défendre la position antimilitariste de son auteur. Nous allons donc nous efforcer, tout au long de cette étude, de comprendre comment Godard utilise la violence et l'humour afin de cibler le type de critique qui en découle.
[...] Le pouvoir des images : un mirage aux conséquences dangereuses IV. Conclusion Il semble évident que Les Carabiniers soit une œuvre profondément provocatrice et engagée, surtout si on la replace dans le contexte de son époque, celle des Trente Glorieuse où la prospérité économique donnait déjà lieu à l'endormissement des esprits. Très tôt (on est alors en 1963) on note chez Godard son engagement et son anticonformisme par cet exercice critique violemment cynique, où l'antimilitarisme est exprimé par l'absurdité et l'avidité des personnages, exploités par un gouvernement qui finira par les exécuter de ses propres mains. [...]
[...] Rappelons nous que c'est avec plein d'images en tête que nos deux carabiniers partent à la guerre : celles des femmes du monde, celles des richesses possibles, celles des objets qu'ils souhaitent obtenir Toutes ces images constituent autant de richesses promises par les recruteurs pour faciliter la mobilisation. Autrement dit : l'Etat ment en faisant miroiter des images de rêves aux yeux de la population. Bien entendu tout cela est faux. Nos deux protagonistes iront jusqu'à revenir avec une valise remplie de cartes postales à l'image de leur désir. Les images se sont donc transformées en une quête aveugle en total décalage avec la réalité et nous hypnotisent jusqu'à nous abrutir totalement. [...]
[...] Le deuxième champ de lecture est plus complexe à repérer. En effet, Godard incorpore à son film quelques images d'archives, dévoilant tantôt les importants dispositifs de la lutte armée (chars, navires, tantôt des images de l'horreur absolue (cadavres et explosions réels). On retrouve donc, en opposition avec la première, une dimension totalement réaliste, violente, et d'autant plus choquante qu'elle est véritable et non plus fictive. Cette opposition entre fiction et réalité, que l'on a déjà évoquée plus haut, s'étend ainsi au domaine du tragique et non plus du comique. [...]
[...] L'immobilisme semble clairement dans la ligne de mire de Godard. En effet, les réactions des personnages rencontrés tout au long du film ont quelque chose d'inhumain : les prisonniers que l'ont conduit au poteau d'exécution se comportent comme des pantins, sans expression, sans peur, sans réaction, sans parole et donc sans personnalité. Ils se soumettent sans aucune résistance face à l'adversité, tout comme les spectateurs de la salle de cinéma ne semblent aucunement dérangés par l'attitude grotesque de Michel Ange. [...]
[...] La famille a du courrier Une autre scène purement absurde vient alléger le contexte du film : celle du cinématographe. Michel Ange va pour la première fois au cinéma et ne comprend pas que ce qu'il voit est purement fictif. Ainsi, il se protège les yeux lors de l'arrivée du train en gare, rigole à gorge déployée quand la famille se bat à coups de tarte à la crème et vient caresser la femme qui prend son bain à l'écran avant de finir par tout arracher, en retombant violemment de l'autre côté de la toile. [...]
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