Dissertation de cinéma de khâgne (2eme année de classe préparatoire littéraire) sur le comique, notion au programme du concours de l'ENS-LSH 2008. Le devoir interroge la question du personnage burlesque, et la confronte à la notion d'héroïsme, en parcourant les grandes figures du burlesque, de Chaplin et Keaton à Tati, et à travers des analyses de séquences précises et des réflexions de critiques contemporains (Francis Bordat, Petr Kràl, Jean-Philippe Tessé...)
[...] Lampadaire plié en deux = lampadaire au même niveau que la tête de la brute. Donc lampadaire plié en deux + brute = cloche à gaz pour rendre la brute inoffensive. Il n'y a que Charlot pour penser à cette association inattendue : ce n'est plus de la ruse, c'est de l'imagination. Jean-Philippe Tessé dira à ce propos que l'imagination burlesque n'est pas la faculté de tirer quelque chose de rien, mais de déplier ce qui se loge entre ce qui est et ce qui pourrait être, l'exploration des possibles.[3] L'imagination, chez Charlot, c'est le détournement des objets : on en a un répertoire dans le seul The Kid, où Charlot transforme successivement une cafetière en biberon, une couverture trouée en poncho (il choisit d'y passer la tête plutôt que de s'y coincer le pied), et va même jusqu'à réinventer les toilettes, en plaçant une chaise trouée au-dessus de son pot de chambre. [...]
[...] L'entreprise préméditée est donc réalisée, mais par des voies détournées, et d'autant plus comiques qu'elles étaient moins prévisibles.[2] Le personnage burlesque accomplit ici le même exploit qu'un héros traditionnel (dans le cadre de la guerre, tirer sur l'ennemi avec succès), mais en passant par des moyens un peu moins traditionnels. Dès lors, ne pourrait-on pas, à partir de cette observation, parler d'un héroïsme décalé dont la différence avec l'héroïsme classique résiderait dans les moyens employés, qui atteindraient pourtant une fin analogue ? [...]
[...] Lors des courses-poursuites de Charlot et d'un grand frère mécontent dans The Kid, Charlot, suivi de près par son ennemi, utilise toutes les ruses possibles qui permettraient sa fuite en lui laissant quelques secondes d'avance : se baisser (la brute l'enjambe automatiquement), faire un pas de côté (la brute continue sa trajectoire) La ruse sert à esquiver, comme aussi dans le remarquable match de boxe des Lumières de la ville, où Charlot suit constamment l'arbitre pour empêcher son adversaire de le frapper. Du match de boxe de City Lights, on pourrait rapprocher le match de Charlot boxeur (The Champion), un court métrage de 1915 : Charlot met un fer à cheval dans son gant pour terrasser la brute qui lui est donnée comme combattant. Plus que de la ruse, c'est de l'imagination, pourrait-on dire. [...]
[...] Et si l'on a tort de nommer héros involontaire le personnage burlesque, c'est que celui-ci, à l'inverse du héros malgré lui veut de toutes ses forces réaliser l'acte héroïque : seulement, il n'y arrive pas, ou plutôt n'y arrive pas par la seule force de sa volonté. Chez le héros ordinaire, tout se traduit en actes : il n'y a pas de héros sans actes héroïques, il n'y a même pas de héros héroïques : seuls les actes méritent cette dénomination ; et les douze travaux d'Hercule en sont une preuve parmi d'autres. [...]
[...] Car ce qui fait rire, ce n'est pas seulement le caractère tout sauf héroïque du personnage burlesque, c'est aussi son aptitude à récolter tous les malheurs du monde, et à être la cible privilégiée du destin : il n'y a que Charlot pour, fraîchement policier, être muté à la rue coupe-jarrets (Charlot policeman), il n'y a que Malec pour perdre sa ceinture le jour de son mariage (Neighbors), il n'y a que Hulot pour se retrouver avec la porte des Arpel sur les bras alors qu'il essayait de l'ouvrir le plus discrètement possible (Mon oncle). Cependant, le hasard a un rôle double auprès de l'anti-héros burlesque. [...]
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