Beaucoup de bruit pour rien est une pièce de Shakespeare assez typée. Son humour est protéiforme : dans les jeux de langages, les malentendus, les rapports sociaux. Elle narre les aventures de deux couples. Claudio le jeune chevalier, favori de Don Pedro, avec Héro la fille de l'hôte de la pièce : Don Léonato. Et Bénédict, de la cour de Don Pedro, avec Béatrice de la suite de Don Léonato. Ces deux clans, qui auront à s'affronter, et ces deux couples, qui passeront allègrement de la haine à l'amour, sont le terreau de la créativité de Shakespeare en matière de quiproquos. Tout ce qui devait arriver arrivera. Une histoire finalement assez simple, mais rendue sublime par la langue de l'un des plus grands dramaturges de l'histoire. C'est plus encore que « Roméo et Juliette » une comédie des erreurs, porté par son génie de la langue.
Nous nous pencherons sur deux adaptations de cette pièce. L'une théâtrale, mise en scène par Jean Hayet, l'autre cinématographique portée à l'écran par Kenneth Brannagh. Le choix de ces auteurs n'est pas délibéré et ne présuppose d'aucune volonté préalable. Le cinéma n'en offrait pas la possibilité, le CNT non plus.
L'étude et la découverte de ces trois œuvres apportent une lueur vraiment neuve sur la notion d'œuvre et il est tôt fait de considérer que Beaucoup de bruit pour rien est une idée, un concept, partagés par des artistes.
[...] En effet, porter Shakespeare à l'écran n'est pas donné à tout le monde. Kenneth Brannagh, selon la légende, décide de se lancer dans une carrière d'acteur après avoir vu Darek Jacobi jouer Hamlet à la télévision. Après avoir suivi les cours d'art dramatique de la Royal academy of dramatic art de Grande-Bretagne, c'est logiquement qu'il rejoint à 23 ans la Royal Shakespeare Company (R.S.C). Il y restera 4 ans enracinant en lui l'amour de son maître, de son modèle et connaîtra le triomphe pour son rôle d'Henri V. [...]
[...] Nous nous contenterons d'un exemple pour illustrer sa démarche. Speak low if you speak love : parle bas si tu parles d'amour. On voit bien comment les sonorités introduites par Shakespeare ne peuvent être retranscrites en Français. Cependant à défaut de musicalité, l'auteur conserve au moins la rythmique et donc respecte la durée initiale de la pièce. La pièce met beaucoup en valeur le rôle des femmes ce qui est assez surprenant pour l'époque. Il faut rappeler cependant que ces rôles étaient tenus par des hommes, jeunes adolescents. [...]
[...] De plus, quand ils parlent de leurs frasques, ils procèdent à un habile jeu d'association avec le spectateur parlant comme s'ils étaient l'un d'eux, provoquant l'hilarité générale. Jean Hayet maîtrise parfaitement la triple énonciation et fait passer ses acteurs de l'une à l'autre de ces variantes. Cette technique, fine et judicieusement manipulé dans la pièce amène de l'attention chez le spectateur, ce qui ne sera pas le cas dans l'adaptation cinématographique. L'espace scénographique est ainsi une des vraies réussites de l'adaptation théâtrale. Les jeux amoureux sont la trame de cette pièce, laquelle dépeint deux couples légèrement mièvres puisqu'ils sont sous le joug de Cupidon. [...]
[...] Mais Kenneth Branagh va plus loin. Une fois le texte fini, apparaît en fondu un tableau représentant une maison toscane typique avec ses bordures de cyprès et la couleur si caractéristique de la terre vallonnée l'entourant. Nous sommes encore une fois au Théâtre avec un élément de décor et la question taraude encore l'esprit du spectateur : allons-nous nous retrouver dans un décor de théâtre ? Dans le même temps cette image énigmatique nous fait projeter des désirs : nous aimerions y être et l'imagination qui nous porte habituellement dans la construction de l'espace dramatique se voit contrariée. [...]
[...] Quand Shakespeare écrit Beaucoup de bruit pour rien, le seul frein créatif auquel il doit faire face est la censure de son temps et la transpiration qu'il veut bien concéder à son travail. Quand Jean Hayet met en scène la pièce au théâtre Royal des Galeries à Bruxelles, le principal souci qui l'habite est la qualité des critiques des journalistes, des directeurs du théâtre et du milieu théâtral dans son ensemble porté sur son oeuvre. Car jusqu'à la première, aucune retenue ne lui est imposée, il a libre champ pour produire une œuvre originale et créative. [...]
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