M Le Maudit est le premier film sonore de Fritz Lang. Réalisé en 1931, pendant l'Interrègne - « ce fondu enchaîné entre un art et un autre », d'après la formule de Chion - le film exploite au maximum les possibilités du son, et le son mono d'origine permet d'analyser les choix de Lang. Le réalisateur fait en effet preuve de beaucoup d'inventivité et le son participe pleinement de la poétique du film. Au-delà du réalisme de l'atmosphère sonore, le son est toujours signifiant, et joue un rôle fondamental dans la dièse : c'est d'ailleurs le son qui fait découvrir le meurtrier par deux fois : le sifflement du Maudit est reconnu par l'aveugle, et le bruit du couteau dans la serrure le trahit. Le film ne comporte pas de musique, peu de tirades dialoguées, de nombreuses scènes muettes, et des bruitages caractéristiques, toujours employés pour signifier. Nous verrons dans un premier temps comment les chants, les sifflements et les bruitages jouent un rôle expressif et symbolique, et nous nous attacherons aux personnages des enfants, du meurtrier et de l'aveugle. Puis nous analyserons l'unité du système sonore qui concerne la manifestation de la police et de la pègre, et verrons le lien entre les paroles des différents personnages et l'image. Enfin, nous étudierons en dernier lieu les procédés sonores au niveau de l'économie du récit, et de la stylistique du film.
[...] Ainsi le recours au son subjectif prépare le spectateur à la façon dont l'histoire va se poursuivre. Ainsi les différents bruitages, sifflements et chants, pour réalistes qu'ils paraissent, intègrent surtout le thème musical à l'action du film et pose différents enjeux, pour chaque personnage. Le meurtrier se définit au niveau sonore par son sifflement, l'aveugle par son acuité auditive, quant aux mondes de la pègre et de la police, ils participent d'un système sonore unifié, où les paroles entrent en interaction avec les images. [...]
[...] Ainsi, le son est au cœur de la diégèse et de la poétique de M Le Maudit. Fritz Lang fait preuve de beaucoup d'inventivité et l'exploitation des multiples possibilités sonores retient aujourd'hui l'attention. Le son signifie plus qu'il ne mime la réalité, et la tendance vers le réalisme ne fait pas oublier l'influence expressionniste, qui continuera à hanter Lang tout au long de son expérience américaine. [...]
[...] Le son sert aussi de mouvement d'amplification de l'action à certains moments. Il peut ainsi souligner l'importance d'une information : la logeuse est dure d'oreille, ce qui contraint l'inspecteur à répéter trois fois le nom de celui qui va s'avérer être le meurtrier. Le son participe aussi de la construction de la montée dramatique : après la disparition d'Elsie, les vendeurs de journaux courent dans la rue pour vendre l'édition spéciale, leurs voix se multiplient et le volume sonore monte en crescendo. [...]
[...] Ainsi les espaces du monde de la police et de celui de la pègre affirment la prédominance du discours, dans un but didactique ; il s'agit d'une part d'informer le spectateur des actions menées, de l'autre, de montrer les prises de décisions et les idées des deux camps pour arrêter M. L'image joue une fonction d'illustration dans ces scènes, quand elle ne donne pas une autre version de la réalité. Loin d'être un accompagnement de l'image, et au-delà de la caractérisation des personnages, le son intervient dans l'économie du récit et la stylistique du film. [...]
[...] Si les klaxons avertissent du danger, le sifflement de M est l'expression de ses pulsions sexuelles et meurtrières. L'ironie veut que le Maudit siffle un air de Peer Gynt, dont le personnage éponyme, parti défier le monde et ayant raté tout ce qu'il a entrepris, découvre, à la fin de son périple, combien il est seul. Ce sifflement caractérise donc le personnage dans sa dimension tragique, mais permet surtout à Lang d'évoquer sans les montrer les viols et les tueries. [...]
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