« C'est l'histoire d'une société qui tombe et au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : « jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien ». L'important c'est pas la chute, c'est l'atterrissage. »
La Haine de Mathieu Kassovitz sorti en 1995 est un film qui dénonce une responsabilité globale : l'indifférence. L'histoire se résume à la promenade dans la vie des trois protagonistes, trois personnages représentatifs des minorités raciales voire religieuses de notre société : un juif, un maghrébin, et un noir que nous allons suivre durant toute une journée. Le film se découpe en trois temps : tout d'abord la vision de la cité en plein marasme, suivi d'une nuit blanche au centre de Paris et enfin le dénouement dramatique. Ce reportage en noir et blanc, puisque le film relate un monde sans couleur, est rythmé par un découpage des scènes qui affiche l'heure de la journée : ce qui accentue l'intensité dramatique. La haine c'est à la fois la haine de la police, la haine d'un monde qui a renoncé à intégrer ses jeunes banlieusards, c'est aussi la haine du système, la haine du pouvoir et la haine de la fracture sociale. Onze ans après sa sortie, le film de Mathieu Kassovitz a fait figure de visionnaire au moment des émeutes de novembre 2005, comme si le drame du refus d'accorder une identité à ces jeunes était destiné à provoquer les mêmes effets.
Le film eut un succès commercial important et provoqua une controverse en France quant au point de vue présenté par Mathieu Kassovitz sur la violence urbaine et policière. Il reçut le prix de la mise en scène au festival de Cannes, le césar du meilleur montage, le césar du meilleur film, le césar du meilleur producteur ainsi que huit nominations.
La scène qui nous intéresse se situe au début du film. Elle présente Vinz (Vincent Cassel) – c'est-à-dire celui qui s'est choisi un pseudonyme américain- le juif par contrastre avec Saïd, l'arabe et Hubert le noir, dans sa salle de bain en train d'imiter une scène du film Taxi Driver face à son miroir.
[...] On ne peut exister que devant sa glace, ailleurs tout est bloqué Si la scène se passe dans l'espace intime de la salle de bain ce n'est pas sans raison : cet espace personne n'est censé y pénétrer, ni y voir ce qu'y fait le personnage : en quelque sorte, ce qui aurait du être caché s'offre à la vue et se dévoile au public. Il y a ici une problématique identitaire certaine : au départ Vinz n'affronte pas le regard du spectateur, le face à face est médiatisé par le miroir puisque le personnage est de dos. Ce miroir de la salle de bain est le reflet d'un mal- être. [...]
[...] Nous sommes d'abord derrière lui mais nous distinguons son visage grâce au miroir, par conséquent c'est le miroir qui révèle la véritable identité du personnage et ce n'est qu'en intégrant ce miroir que nous le découvrons. L'identité se dévoile quand le face à face a lieu. Ici le visage est médiatisé par le miroir mais il n'y a toujours qu'un dos (ce qui rappelle Velasquez), Vinz est d'abord un corps sans visage, caractéristique de la perte d'identité, et signe d'une blessure. [...]
[...] Si la fonction des deux premières séquences avec Vinz est claire : soit dormir, puis manger, quel statut donner à la troisième sinon celui d'une quête identitaire ? Cette troisième séquence est celle de la salle de bain, or la peau n'en est pas le sujet, le corps n'est pas investi comme objet de plaisir, Vinz y apparaît comme un homme tronc. A aucun moment il n'apparaît à l'écran dans l'intégralité de sa silhouette. C'est une moitié d'homme. Dans la séquence il se plie, se baisse, il se penche. Vinz n'est pas statique mais semble attendre une action qui ne vient pas. [...]
[...] Le visage qui se donne ou qui se refuse est au centre de la question du je et de l'identité. Le corps est partiellement nu, c'est le moi-peau il n'y a pas de vêtement, le corps est le vêtement qui le porte, sans ce tissu il y a une perte certaine d'identité. Ce qui recouvrait le corps nu est tombé et l'identité tombe avec. Cette nudité pourrait être symbole d'une honte qui habiterait Vinz. Honte de sa personne, le personnage rejette son identité pour jouer un rôle, il veut se faire passer pour quelqu'un d'autre, pour celui qu'il n'est pas en s'identifiant à un idéal (ici le personnage de Taxi Driver). [...]
[...] L'affiche avec ses palmiers qui apparaît en décor nous fait lire le reflet comme un encadrement du personnage or qu'y voit-on ? Un être grimaçant, un adolescent qui triture ses points noirs. Un être enchaîné par son environnement auquel il ne peut échapper. Tout comme Hubert, Vinz porte une chaîne qui se remarque dès le premier cadrage. Dans son interprétation il se déchaîne symboliquement comme si l'agressivité était une libération. La haine n'apparaît donc pas seulement comme un exutoire de l'ennui, c'est une souffrance extériorisée. La parole est une agression (dès la première séquence Vinz ne veut pas être réveillé). [...]
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