Beau Travail, réalisé d'après un scénario de Claire Denis et de Jean-Pol Fargeau, transpose l'histoire de Billy Bud, marin, dernier "roman" de Melville. Denis assimile la structure triangulaire et la veine poétique de Melville, et transpose l'histoire dans le monde de la Légion, à Djibouti.
Chez Denis, l'adjudant Galoup se sent menacé par l'arrivée de Gilles Sentain, tout comme le sous-officier Claggart par Billy Bud, qui sont, l'un un marin hors norme, de par sa beauté, sa grâce, et la noblesse de sa nature, l'autre, un légionnaire exceptionnel qui se distingue par son courage et se fait vite apprécier des autres hommes.
[...] Ce n'est qu'à plus de six minutes de film, que Galoup se présente clairement comme le narrateur, avec la première occurrence de sa voix off: "Marseille, fin, février, j'ai du temps à présent . " Dans ce plan, le personnage est à distance, en contre-plongée, le visage encadré par une série de lignes verticales et horizontales qui enferment son visage. On ne sait pas à quoi il est occupé, assis à une table, et la voix off commence son récit. [...]
[...] De l'angle d'attaque." Le "journal" de Galoup accompagne tout le récit, mais ne joue que rarement un rôle de commentaire de l'image. En effet, le discours de Galoup est souvent en décalage, ou en contradiction avec l'image. Galoup par exemple évoque l'arrivée de Sentain, en précisant qu'il s'agit d'une menace, sans que les plans suivants ne soient centrés sur ce rival, ou ne montrent d'une quelconque façon en quoi Sentain constitue une menace pour Galoup. Dans la scène de la procession, c'est la même annonce, d'un événement marquant, sans que l'image ne l'explicite. [...]
[...] D'autre part, Beau Travail fait référence au Petit Soldat de Godard, où l'acteur Michel Subor joue le rôle du soldat Bruno Forrestier. Denis réemploie le même acteur, pour un personnage qui porte le même nom que dans le Petit Soldat, comme s'il s'agissait de la suite de son histoire. Réécriture de Billy Bud, assimilation de l'opéra de Britten, hommage et suite critique du Petit Soldat, le film de Denis fond ces intertextes dans une réflexion plus globale sur le post-colonialisme, et aborde la problématique de l'étranger, de ce qu'est d'être étranger, à un pays, ou à soi-même, dans un récit où le présent est littéralement écrasé par le passé Dislocation et écrasement du souvenir L'histoire est racontée par Galoup, alors qu'il a été exclu de la Légion; le personnage se trouve à Marseille, à la fin de l'hiver et évoque ses souvenirs de Djibouti, qui appartiennent à un passé assez proche. [...]
[...] Ainsi, si Galoup devient la voix du film, Denis ne lui attribue pas d'autorité particulière. Le film est assumé par un autre narrateur, qui d'une part, nous montre Galoup agir, comme si les événements étaient extériorisés, et nous offre aussi des scènes de la vie djiboutiennes, qui offrent un contrepoint au monde de la légion. Denis s'attache à nous montrer le commerce des femmes, le transport (séquence initiale, scène dans le train; aspect documentaire, sort presque du fictionnel), et construit l'image d'une société ouverte sur l'extérieur, en mouvement, afin de faire ressortir le monde des légionnaires comme un monde clos, fermé sur lui-même et sur un idéal dépassé, enfermé dans ses rituels. [...]
[...] En effet, une suite de plans, sans lien entre eux, et sans raccord, précède le moment où Galoup commence son récit, et contient pourtant les différents enjeux dramatiques du film. Dans cette suite de souvenirs, la confrontation entre Galoup et Sentain se perçoit dans la scène en boîte de nuit, tout comme la relation entre Rahel et Galoup dans cette même scène. On assiste aussi à la danse de l'herbe, à une scène de vie djiboutienne dans le train, au rôle de Galoup face à ses hommes, à la solitude de ce corps d'armée (le tank isolé). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture