Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, la place des discours scientifiques s'est accrue dans les démocraties libérales. L'expertise a connu un véritable essor dans les sociétés modernes en ce qu'elle permet de légitimer un panel toujours plus large de décisions politiques en vue de leur acceptation par l'opinion publique. En effet, les individus font de plus en plus confiance aux scientifiques qui apparaissent à la fois rationnels et inoffensifs mais aussi comme détenant un savoir que le citoyen moyen n'a pas à sa portée et qu'il désire obtenir. Dès les années 1960, l'essor de cette autorité nouvelle, scientifique, est perçu par le psychosociologue américain, Stanley Milgram qui dévoile l'ampleur des conséquences que cela peut avoir sur le comportement de sujets libres et ordinaires dans son ouvrage intitulé La soumission à l'autorité publié en 1965. Ainsi, sous couvert d'une expérience posée comme testant l'efficacité de la punition dans l'apprentissage, il démontre que la figure de l'homme de science, par l'autorité qu'il incarne, peut pousser des individus à perpétrer des actes de violences, de torture, sur d'autres êtres humains.
Ce débat autour de la question de la soumission à l'autorité, notamment scientifique, peut alors être étudié dans le film Das Experiment (L'Expérience, 2003 en français) du cinéaste allemand Olivier Hirschbiegel, adaptation de l'ouvrage de Mario Giordano intitulé Black Box, lui-même inspiré de l'expérience, devenue classique en psychologie sociale au même titre que celle de Milgram, menée par le professeur Philip Zimbardo en août 1971 à l'Université de Stanford aux Etats-Unis. En effet, dans ce thriller, l'autorité scientifique est incarnée par le professeur Thon (Edgar Selge) qui tente d'analyser l'obéissance comme fait social et psychologique dans un univers carcéral reconstitué. De plus, l'œuvre d'Hirschbiegel permet de relancer la polémique autour de la thèse d'Hannah Arendt de la « banalité du mal ». En effet, la philosophe écrivait à propos d'Eichmann : « les actes étaient monstrueux, mais le responsable [...] était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque, ni monstrueux. Il n'y avait en lui trace ni de convictions idéologiques solides, ni de motivations spécifiquement malignes, et la seule caractéristique notable qu'on décelait dans sa conduite [...] : ce n'était pas de la stupidité, mais un manque de pensée. ». Dans Das Experiment, tout comme Eichmann, les gardiens de prison sont, comme nous le verrons par la suite, des individus tout à fait ordinaires qui ne semblaient pas montrer de prédispositions particulières à la violence. Cela n'est pas sans rappeler une question soulevée au début du semestre, à savoir celle de la disponibilité de l'Homme à s'inscrire, par sa nature même d'humain, dans un système fasciste. Ce film intervient en effet quelques années seulement après la parution de l'ouvrage de Daniel Goldhagen, Les Bourreaux volontaires d'Hitler (1996), qui pose la question de la responsabilité du peuple allemand vis-à-vis du massacre des Juifs. C'est à l'ensemble de ces débats, véritables enjeux politiques, que l'œuvre du cinéaste allemand fait notamment référence et que nous allons tenter d'analyser.
[...] Son autorité devient telle qu'elle commence à contester celle des scientifiques pour enfin s'y opposer. Les deux assistants du professeur sont ainsi enfermés avec les détenus De même, afin de justifier la pratique de la violence par les gardiens Béros affirme qu'une attaque a été fomentée par Tarek et l'un des surveillants contre les dominants et donc contre son autorité. Ceci représente un des moyens utilisés par certains régimes autoritaires et totalitaires pour légitimer le gouvernement par terreur, mais rappelle également le concept de raison d'État. [...]
[...] Dans cette logique, un des prisonniers, Shooter, est ainsi tué. Enfin, les surveillants qui s'opposent aux décisions de Béros sont violentés et incarcérés. Ce phénomène peut alors être mis en lien avec les purges pratiquées par exemple par Hitler parmi les SA ou par Staline en Union Soviétique. La nature humaine est-elle fasciste ? Il semble que, dans le contexte de l'expérience mise en œuvre par le professeur Thon, l'homme ait tendance à céder aux tentations fascistes, à s'insérer dans les mécanismes sur lesquels repose le fascisme. [...]
[...] Par ailleurs, des tests physiques et psychologiques sont pratiqués sur les individus. Ainsi, d'une part, cela démontre le caractère scientifique de l'expérience, ce qui ne manque pas de susciter la confiance des participants à l'égard de cette autorité rationnelle favorisant ainsi l'obéissance des sujets. Cela est par exemple perceptible lors du dialogue entre Tarek (qui deviendra ensuite numéro 77 protagoniste, et l'assistante du professeur lorsque ce dernier déclare vous allez veiller sur moi j'imagine alors il ne peut rien m'arriver de mal D'autre part, ces tests apportent la preuve tangible que ces individus qui pourront être tentés d'utiliser la violence pour régler les conflits sont des personnes tout à fait normales Cela renvoie à la thèse d'Arendt de la banalité du mal En effet, la répartition des rôles entre gardiens et détenus est laissée au hasard : comme l'affirme l'assistante du professeur, celle-ci est faite par méthode informatique. [...]
[...] Par ailleurs, le contexte de l'expérience permet aux surveillants de refaçonner les victimes comme les nazis pouvaient le faire dans les camps. Ainsi, par exemple, les prisonniers se voient dans l'obligation de chanter des chansons dégradantes et on attribue des surnoms humiliants à certains comme le numéro 69 qu'ils appellent famellette Enfin, cette prison est bel et bien un centre de transformation sociale, de manière artificielle tout d'abord puis de façon tout à fait réelle puisqu'une personne semblant dominé dans la société telle que Béros acquiert progressivement la figure de dominant Philip Zimbardo, dont l'expérience à l'université de Stanford a inspiré le scénario, s'est dissocié du film, critiquant, dans de nombreux entretiens, la version, selon lui, outrancière, que le cinéaste allemand a donné du test. [...]
[...] C'est à l'ensemble de ces débats, véritables enjeux politiques, que l'œuvre du cinéaste allemand fait notamment référence et que nous allons tenter d'analyser. Conditions de l'expérience : une étude des comportements humains en situation extrême - Répartition des rôles et règlement : l'établissement d'une nouvelle hiérarchie sociale artificielle fondée sur le rapport dominant-dominé Tout comme l'expérience Milgram, celle du professeur Thon, financé par l'armée, est présentée sous la forme d'une annonce dans le journal et offre une contrepartie financière satisfaisante aux cobayes volontaires (4000 Deutschemarks soit environ 2000 euros). [...]
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