Les Statues Meurent Aussi est un court métrage documentaire, co-réalisé en 1953 par Alain Resnais, pour le montage, et Chris Marker, pour l'écriture du discours. Malgré la censure, le film obtient en 1954 le prix Jean Vigo. Le film a été réalisé à la demande d'une revue d'intellectuels africains militants, Présence Africaine. Conçu au départ comme un film sur l'Art Nègre, le film évolue vers un propos anticolonialiste, dénonçant l'« ethnocide culturel » . Nous allons donc voir, en quoi et comment le film nous parle du monde, en ce que par la progression d'un conte merveilleux à un pamphlet anticolonialiste, le film renvoie au spectateur occidental son propre regard, et dévoile l'importance de l'art et de la mémoire dans la survie d'une culture, par l'exemple de la dégradation de la culture africaine opérée par la colonisation.
[...] En fait, la première spécificité de cet art que les réalisateurs exposent de façon un peu générale, n'est justement pas une spécificité : montrant à l'image des statues appuie-tête ou cuillère, il prétend que l'originalité de cet art est que l'utile et l'artistique sont liés, à la différence de l'art occidental : "Nous connaissons un art où l'ornement des objets utiles, appuie-tête, et la beauté inutile de la statue tiennent à deux ordres différents. Ici, cette différence tombe quand nous regardons de près." Marker reprend ce préjugé selon lequel l'art n'a pas d'utilité pratique ni religieuse, en occident du moins. [...]
[...] En outre, dans le film, l'art s'avère le garant de la mémoire et la possibilité de pérennisation d'une culture. En effet, chez Resnais, c'est la connaissance et la mémoire qui sont le garant de la perpétuité d'une civilisation comme on pourra également le comprendre dans un autre documentaire sur la Bibliothèque Nationale, Toute la mémoire du monde. On retrouve cette idée dans Le Banquet de Platon : L'oubli réside dans le fait qu'une connaissance s'en va, alors que la recherche, en cherchant à produire un souvenir nouveau qui remplace celui qui s'en était allé, sauvegarde la connaissance en faisant qu'elle paraît rester la même. [...]
[...] On peut dire que le vrai sujet du film, ce n'est pas les Africains ou les Occidentaux par rapport à l'Afrique, mais la nécessité de mémoire pour la sauvegarde d'une civilisation, celle-ci passant par l'art. D'où certainement leur intérêt moindre pour le peuple africain en question. Ainsi peut-on le comprendre par cette phrase un peu pivot, annonçant la dénonciation du colonialisme : "et le sorcier capture, dans son miroir, les images de ce pays de la mort, où l'on va en perdant la mémoire", phrase d'ailleurs répétée à la fin : "et la mort est toujours un pays où l'on va en perdant la mémoire". [...]
[...] C'est peut-être aussi ce qui fonde l'esthétique fragmentée des Statues Meurent Aussi, et le fait que l'on ne reçoive d'information sur l'histoire ou la culture africaine de façon si morcelée et en même temps sous un discours très généralisant. Le film oscille en permanence entre le particulier et le général (la séquence du jeu sur l'échelle des plans en est assez illustrative), mais du même coup, s'inscrit dans une incessante contradiction, comme on l'a vu plus tôt. Comme l'explique Cyril Neyrat (dans doctorat) : "Le cinéma de Resnais repose sur une hésitation permanente entre la juxtaposition de fragments et leur fusion d'un tout globalisant. [...]
[...] Néanmoins, il faut noter des limites à ce type de montage. Tout d'abord, ce ligato par le son produit un film hypnotique ou le spectateur est emporté par la voix, ce qui fait qu'on adhère à ses propos. Si Resnais met en place un procédé de prise de recul par rapport aux préjugés occidentaux, son montage, loin de nous faire prendre du recul par rapport à ses propres propos, nous plonge complètement dans ses idées et ses remarques, parfois, comme nous allons le voir par la suite, contestables. [...]
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