En 1964, Jean Prat réalise un téléfilm d'après le roman 325 000 francs de Roger Vailland, presque dix ans après sa parution. Cette adaptation, ainsi que l'écriture des dialogues ont été signés par l'auteur du roman lui-même.
Nous pouvons nous interroger sur les enjeux de cette adaptation et nous demander si ceux-ci permettent de déterminer des critères d'évaluation de l'adaptation filmique d'un texte littéraire.
Pour ce faire, notre étude s'axera sur trois points essentiels. Nous verrons tout d'abord ce qu'a impliqué ce travail d'adaptation. Puis nous en dégagerons, d'un point de vue purement objectif, les effets et les conséquences en terme de gains et de pertes. Enfin, au travers de ce que nous aurons déterminé précédemment, nous tenterons de porter un jugement sur cette adaptation du roman.
[...] Elle s'évalue en fonction de sa puissance créatrice propre. Même si cette autonomie est inhérente à l'art filmique et que dans le cas de francs elle dénote d'une visée quelque peu différente du roman, nous allons montrer néanmoins que cette autonomie n'est que très relative. Nous avons vu plus haut que l'adaptation jouait de procédés proprement cinématographiques (gros-plans, montage, son, ) et qu'elle se traduit en images. Cependant l'autonomie de cette œuvre vient aussi d'une intention de l'auteur qui diffère un peu de celle du roman. [...]
[...] La visée didactique du roman disparaît presque totalement. En effet, si l'on compare les conclusions de chacun, elles ne délivrent pas tout à fait le même message : alors que le roman comportait une double critique à la fois négative et positive qui offrait une solution de transformation du monde (une éthique de la maîtrise de soi par une transformation de soi et des autres), le film reste plus distant et ne propose, à la place, qu'une double interprétation (l'une psychanalytique, l'autre marxiste) sans que l'une ne prévale sur l'autre. [...]
[...] En premier lieu, le récit cinématographique opère une simplification du matériau littéraire. L'épisode de la course cycliste, par exemple, est traité de manière plus elliptique, ce qui lui ôte sa fonction de mise en abyme annonciatrice des événements à venir. Il apparaît plus pour le spectateur comme une banale introduction de l'histoire, sa dimension allégorique n'étant pas du tout perceptible. La substitution des carrosses- corbillards par de simples canards également renforce cette perte du symbolique, ne connotant plus l'idée de mort prochaine de Busard. [...]
[...] De plus, la dimension didactique qu'il y avait au sein du roman est fortement atténuée. Alors que nous avions des personnages-arguments, dénués de toute psychologie, au service d'une démonstration mathématique avec des hypothèses mises en œuvre dans le récit venant ou non se valider, le film, de par la présence d'acteurs et l'incarnation du narrateur, dramatise plus fortement l'histoire. Il s'agit plus du récit de l'itinéraire de Busard. Ainsi le mimétique prend le pas sur le diégétique et par là-même sur la dimension didactique. [...]
[...] La position de celui-ci semble s'être effacée derrière le projet de Vailland (à la fois romancier et réalisateur), d'où un film souvent trop littéraire ce qui en réduit considérablement sa dimension créative. Jean Prat n'a ici qu'un rôle subalterne pour lequel il s'est simplement mis au service de l'écriture de Vailland. Ainsi cette adaptation est, par bien des points, trop illustrative ne parvenant pas à se détacher complètement de la matrice littéraire : par exemple, les voix-off reprennent littéralement des passages du roman (notamment la définition de la forme ou de longs résumés de l'action). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture