Evénement de la parole, dialogues contrariés, cinéma narratif, communication, vacuité des mots, cinéma polyphonique, Michel Chion, voix off, Lettre à une inconnue, parole humaine, parole agonistique
Le cinéma narratif a su déplacer les fonctions de la parole au cinéma, en la libérant de la dimension informative ou explicative à laquelle les seuls dialogues filmés ont pu la cantonner. Force est de constater que la parole peut être érigée au rang d'un événement venant bousculer le récit comme le film lui-même. La parole fait dès lors événement par les dérèglements et les dissymétries qu'elle manifeste à l'intérieur du système de communication. Spécialiste de l'étude du cinéma comme art sonore, Michel Chion intitule son ouvrage consacré à la parole au cinéma, "La Toile trouée".
[...] Cette parole, qui véritablement agit, menace le film dans sa structuration comme dans sa cohésion. Démultipliant les points de vue et les niveaux de savoir sur le contenu événementiel du récit, la parole se fait polyphonique, quand elle renvoie essentiellement, et en dernière instance, à une parole absente. Réglages et dérèglement de la parole : exister par la voix Disruptive, manquante, omniprésente fantomatique, la situation d'énonciation déplace les schémas conventionnels quand elle singularise parallèlement le personnage : l'être se définit d'abord par sa prise de parole. [...]
[...] Ophuls dans Le Plaisir (1952), le dernier sketch Le Modèle raconte l'amour fugace d'un peintre, Jean, pour son modèle Joséphine, dont il se lasse vite. Recourant dans un premier temps au silence, il répond aux suppliques et menaces de Joséphine par le dédain de son regard. Le Si tu te maries, je me tue , répété deux fois, le provoque ultimement : eh bien, tue-toi . Niant la projection du futur posé par le conditionnel ( si tu te maries il la défie au présent et donne à sa parole une dimension perlocutoire. [...]
[...] En déplaçant quelque peu la perspective rimbaldienne, nous pouvons considérer que la détention de la parole peut être un moyen pour le sujet de s'imposer comme autre : je veut être reconnu comme autre . L'interlocuteur devient alors l'intermédiaire et l'instrument de cette revendication d'altérité. Dans Lettre d'une inconnue, se sachant condamnée et refusant de demeurer cette inconnue ayant vécu dans l'ombre du pianiste, Lisa désire être reconnue pour la vérité de ce qu'elle est. C'est par la voix, lue dans la nouvelle, entendue dans le film, que l'inconnue se fait connaître pour ce qu'elle est. [...]
[...] Le risque de la parole Après que Jean a défié Joséphine, dans Le Modèle, celle-ci, nous l'avons dit, se précipite, gravit les escaliers de la mezzanine avant de se jeter par la fenêtre. Au moment où la scène bascule du dialogue à l'action, la caméra connaît un basculement symétrique. Par ce plan subjectif que rien n'annonçait, l'énonciateur se fond dans le corps affolé de Joséphine : c'est finalement le récit comme la matière filmique elle-même qui ont subi les assauts répétés des silences, des mots et des coups de maillet de Jean. [...]
[...] Détenir la parole Ingmar Bergman, au sujet du mutisme d'Elisabeth, dans Persona, propose la réflexion suivante : Le silence qu'elle s'impose n'est absolument pas névrotique. C'est la façon de protester d'un être fort. . En un renversement très bergmanien, le silence renvoie autant à l'angoisse d'un abîme existentiel (qui irait dans le sens de la vanité des mots) qu'à la domination irréfragable qu'il pose dans la tentative d'un échange. Face à la puissance disruptive et dévastatrice de la parole, le silence est la seule réplique, au sens sismique du terme, qu'il est possible d'adresser. [...]
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