Si Eyes wide shut de Kubrick a pu paraître obscur à bien des cinéphiles, c'est peut-être parce que le réalisateur a procédé à des modifications de taille par rapport à l'histoire du livre dont il s'était inspiré pour ce film testament, « La nouvelle rêvée ». Cette nouvelle, sortie en 1926, a été écrite par l'écrivain viennois Arthur Schnitzler. Peu connu en France, ce dernier est souvent considéré comme le double de Freud en littérature, et ce bien qu'il critiquait beaucoup le père de la psychanalyse auquel il reprochait notamment son pansexualisme. A l'instar de Freud, il s'intéressait
toutefois beaucoup à l'amour, à la mort et aux rêves. Il a d'ailleurs couché sur le papier ses propres rêves pendant toute sa vie et nombreux sont ses récits dans lesquels le rêve occupe une place capitale comme c'est le cas de « La nouvelle rêvée ».
[...] Quand Albertine rappelle à son mari qu'elle était vierge lorsqu'elle l'a épousé, sa frustration et ses fantasmes ont par exemple plus de sens, mais cette idée a bien évidemment dû être abandonnée dans le scénario de Kubrick car elle aurait été peu crédible. Mais le réalisateur ne s'est pas contenté que de cette modification qui s'avérait indubitablement nécessaire : dans le livre en effet, Fridolin avoue à Albertine qu'il a déjà été attiré par quelqu'un d'autre lui aussi, ce qui n'est pas le cas dans le film où il ne dit mot sur les fantasmes qu'il aurait pu avoir depuis son mariage. [...]
[...] Il s'agit là encore une fois d'un thème cher à l'écrivain viennois, la Vérité, qui était à son sens la plus grande des valeurs et qui explique notamment pourquoi il est encore souvent comparé à Freud : Arthur Schnitzler a passé sa vie entière à s'interroger, à essayer d'être honnête avec lui-même et il est devenu ce qu'on a appelé le médecin de l'âme en littérature, rendant ses personnages incroyables de réalisme et toujours révélateurs sur le psychisme et les paradoxes de l'être humain. [...]
[...] Un aspect onirique moins présent dans le film Avec le titre de sa nouvelle, Arthur Schnitzler laissait d'office planer un doute quant à réalité effective ou non des aventures nocturnes vécues par Fridolin après la confession de sa femme. Quand il a rédigé son texte, il appelait d'ailleurs celui-ci la double nouvelle ce qui laissait déjà penser que ce récit était à lire à deux niveaux, c'est-à-dire avec un côté réel d'une part et avec un côté onirique d'une autre part. [...]
[...] Elles sont en effet extrêmement longues, voire infinies, et l'on peut donc supposer qu'il s'agit là d'un rêve et que ce dédale de pièces pourrait être interprété comme l'obscur labyrinthe qu'est l'inconscient de l'être humain. Dans La nouvelle rêvée, Arthur Schnitzler avait toutefois inséré des éléments narratifs qui ressemblaient fortement à des réminiscences, ce qui appuyait encore plus la théorie du rêve. Quand Fridolin se rend au bal masqué par exemple, le mot de passe de la soirée est Danemark ce qui n'est très certainement pas un hasard puisque l'épisode relaté par Albertine un peu plus tôt avait eu lieu dans ce pays. [...]
[...] Loin d'être négative, cette fin est une ode à la Vérité, Vérité qui est encore plus courageuse quand nous ne sommes plus seulement face à nous-mêmes mais aussi face à celui auquel on a promis cette honnêteté sans laquelle le couple ne pourrait de toute façon pas fonctionner. Le couple formé par Alice et Bill n'est toutefois sauvé qu'à l'instant précis où on les quitte, et une autre crise pourrait surgir : il en est de même pour Albertine et Fridolin mais le principal, c'est que les partenaires continuent à être honnêtes l'un envers l'autre, même si ça déclenche de nouvelles souffrances et de nouvelles crises et même si ça peut provoquer une rupture définitive un jour ou l'autre. [...]
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