L'expression « système des émotions » a été développée par Pascal Bonitzer, scénariste, écrivain et réalisateur français né en 1946. Aussi, il définit le cinéma moderne comme étant un cinéma qui n'attirerait que peu de spectateurs car il se détache des émotions et rompt avec la narration. Le cinéma moderne a pour but d'inventer de « nouveaux rapports entre les plans » pour exprimer autre chose que les émotions communes. Donc en réalité, ce n'est pas que le cinéma moderne ne transmet plus d'émotions mais il en transmet de nouvelles, inconnues jusqu'à maintenant et qui frustrent le public qui n'est pas habitué. En effet, celui-ci a besoin d'histoire et d'émotions et l'un n'est pas concevable sans l'autre. Jusqu'à présent, il était habitué aux émotions de masses, communes, qui sont la peur, le rire et les larmes. Bonitzer justifie ce besoin en expliquant que ces trois émotions sont les premières apparues au cinéma. De plus, si ce cinéma traditionnel convient tant au public c'est parce qu'il permet aux spectateurs de s'identifier aux personnages et aux situations.
[...] Le chirurgien Frederick Treves découvre un homme complètement défiguré et difforme, devenu une attraction de foire. John Merrick, " le monstre doit son nom de Elephant Man au terrible accident que subit sa mère. Alors enceinte de quelques mois, elle est renversée par un éléphant. Impressionné par de telles difformités, le Dr. Treves achète Merrick, l'arrachant ainsi à la violence de son propriétaire, et à l'humiliation quotidienne d'être mis en spectacle. Le chirurgien pense alors que " le monstre " est un idiot congénital. [...]
[...] Cette première est déjà intense au niveau de l'émotion et ne laisse pas insensible le spectateur. Lynch, après nous avoir dévoilé cette courte scène enchaîne avec un fondu, une technique qu'il exercera tout au long du film et qui a une importance énorme également pour émouvoir le spectateur. En effet, les fondus noirs qui reviennent très régulièrement se produisent souvent au milieu d'une situation, la laissant dans un suspense interrogatif. Avec la tension émotionnelle continuelle qu'entretient le film, ils sont appelés à coïncider chez le spectateur avec une montée de pleurs, un peu comme si on cherchait un coin noir pour pleurer. [...]
[...] L'espace de l'horreur se restreint et se resserre sur le visage du docteur. Sans voir l'Homme-Eléphant nous pouvons tout de même connaître l'horreur qu'il représente, et ce, à travers du visage même du docteur Treves qui représente cette vision et peut-être même pouvons nous imaginer qu'elle nous toucherait plus que si nous avions la vue de John devant nous car nous connaissons cette émotion. Le visage de Treves est totalement figé, il est bouche bée, ses yeux brillent petit à petit, l'émotion monte et le submerge et il se met à verser une larme. [...]
[...] Il privilégie le plan d'ensemble. John Merrick nous est partiellement caché par la foule et devient même hors champ lorsqu'il s'écroule. L'émotion, par un travelling horizontal, est ici transmise par les visages interrogatifs et stupéfaits de la foule, ainsi que par son silence. Cette réaction de la foule est en opposition avec toutes celles qui ont précédé. Habituellement, l'Homme-Eléphant est ridiculisé, on rit de lui, on hurle quand on le voit. Ici, il n'en est rien, il semble enfin écouté, pris en considération par les gens mais ce au pris d'un voyeurisme très malfaisant. [...]
[...] Ceci est interrompu par la chute de la femme, piétinée par les éléphants. Ce qui était au départ un visage angélique se transforme en un visage horrifié. Nous avons un gros plan de cette femme qui hurle de douleur et qui bouge la tête de gauche à droite, et le spectateur a déjà ressenti au bout de quelques minutes seulement du film une émotion réelle avec de la tension et une atmosphère déjà pesante. Par ailleurs, revenons sur la scène où Merrick est invité chez son Treves, dont l'épouse est au bord des larmes : lorsque Merrick parle de sa mère et du chagrin que lui a causé sa naissance, elle craque et Merrick lui tend son mouchoir en lui disant " please Le fondu noir rapide qui clôt la scène sur ce mot est un mouchoir dans lequel le spectateur sensible est invité à sécher sa propre émotion. [...]
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