En 1929, Man Ray le photographe américain expatrié à Paris, proche des surréalistes et des dadaïstes réalise un film de commande pour le vicomte Charles de Noailles: Les mystère du château du Dé. Charles de Nouailles s'adresse à l'artiste Man Ray dont les trois précédents films - Retour à la raison, Emak Bakia et L'Étoile de mer - ont été salués par la critique, pour réaliser un film sur sa villa de Hyères conçue par Robert Mallet-Stevens. Cest à reculon que Man Ray va réaliser ce film. Il écrit dans Autoportrait: « Tout d'abord cette proposition me parut sans intérêt aucun. J'hésitais. Le vicomte m'assura qu'il m'aiderait de toutes les manières possibles, et que ce travail serait rémunéré. (...) Comme je serais tout à fait libre, et que le film ne serait qu'un documentaire, n'exigeant aucune invention de ma part, ce serait un travail facile, machinal et qui ne changerait en rien ma décision de ne plus faire de films. J'étais rassuré à l'idée que celui-ci ne serait pas présenté au grand public. » Charles de Noailles quant à lui a des doutes à la fin du tournage, il confie: « Je pense d'ailleurs que le film aura des photos très jolies provenant du talent de Man Ray mais je suis moins sûr de la qualité du film lui-même, dont le scénario et le jeu me paraît un peu abracadabrant ». Contrairement à ce que pensait le vicomte de Noailles, ce film est un film d'art. Il touche de près les théories du cinéma de Canudo et d'Elie Faure. Pour Canudo, un des premiers théoriciens du cinéma, le cinéma est un art total dans la mesure où il globalise les autres arts, en conciliant les arts de l'espace et les arts du temps. Elie Faure est assez proche de cette conception: pour lui le cinéma synthétise les arts plastiques et les arts dynamiques, et le cinéma et l'architecture totalisent les autres arts. Justement, dans Les mystères du château du dé il y a de l'architecture, de la sculpture, de la poésie et de la peinture, même si cette dernière apparaît d'une manière particulière.
La musique est cependante absente du film, c'est un film muet. La musique de Donald Sosin a été ajoutée plus tard sur les copies vidéos Kino. C'est pourtant en 1929 qu'apparaît le parlant, mais Man Ray refuse de faire un film sonore. Les surréalistes sont contre les films parlants: « Par la faute du « mur d'argent éclaboussé de cervelle »(A.Breton), la liberté du cinéma était morte, puisqu'on ne pouvait plus, comme au temps d'Emak Bakia ou d'un Chien andalou, réaliser des films à petit frais, en toute liberté comme une poésie ou une peinture. Restait le mécenat. Ou plutôt le dernier mécène, le vicomte de Noailles, qui avait l'habitude d'offrir un film, chaque année à sa femme Marie-Laure.» écrit George Sadoul. C'est effectivement grâce au vicomte Charles de Noailles que Man Ray réalise ce film qui a comme particularité majeure de « toucher » à tous les arts (exceptée à la musique). Comment ce film réussit-il à convoquer et à mettre en mouvement ces différents arts? Comment Man Ray se sert-il des différents arts pour filmer l'architecture qui est d'habitude immortalisée par la photographie?
Ce film d'un genre particulier a pour sujet la villa de Noailles qui est en elle-même un lieu hautement artistique: de par ses propriétaires, de par les oeuvres d'art qui y demeurent mais aussi par son concepteur: l'architecte et directeur artistique de décors Robert Mallet-Stevens. Man Ray réunit ces oeuvres par la poésie, en structurant son film à la manière de Mallarmé dans son poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard.
[...] Les protagonistes de l'histoire de la villa sont ainsi réunis: les commanditaires Charles et Marie-Laure de Noailles, l'architecte Robert Mallet-Stevens et l'architecte local Léon David, les artistes-architectes- décorateurs Pierre Chareau, Francis Jourdain, Louis Barillet, Gabriel Guévrékian, Geogres Djo-Bourgeois, Eileen Gray, le Bauhaus et Marcel Breuer, De Stilj et Van Ravensteyn, Charles Hess, les peintres Juan Miro, Juan Gris, George Braque, Marc Chagall, Max Ernst, Salvador Dali, Pablo Picacco, Theo Van Doesburg, Piet Mondrian les sculpteurs Henri Laurencs et Jacques Lipchitz, les musiciens dont George Auric, les cinéastes Man Ray et Luis Bunuel, auxquels s'ajoutent des poètes et des écrivains et la cohorte des amis de passage. La villa de Noailles a été un centre de création d'oeuvres d'avant-garde et un lieu de rencontre majeur pour les artistes dans les années vingt. L'année où le filme est réalisé, Mallet-Stevens fonde l'Union des Artistes modernes suite aux nombreuses rencontres qu'il a faites à la villa de Noailles. [...]
[...] Les Mystères du château de dés est un film d'avant- garde sur une villa d'avant-garde remplie d'oeuvres d'avant-garde. Mais au lieu de réaliser un documentaire descriptif, Man Ray réalise un film au langage poétique et fait circuler les arts dans son film. Il a su imprimer sur la pellicule photographique les échanges entre les arts présents dans la villa de Noailles, s'approchant ainsi de la synthèse des arts, de l'oeuvre d'art totale d'Elie Faure et de Canudo. [...]
[...] Les séquences tournées de l'intérieur de la voiture font elles aussi écho à l'architecture de Mallet-Stevens qui privilégie la ligne: dans ces plans on a des lignes de fuite et des diagonales qu'on retrouvera une fois arrivé à la villa, à la fois dans l'archiecture du jardin de Guévrékian et dans les mouvements de caméra. C'est à la pointe du jardin cubiste crée par Guévrékian qu'est installée la statue mobile de Lipchitz La joie de vivre. On reprochait à l'architecture de Mallet-Stevens d'être trop sculpturale et Mallet-Stevens de son côté admire les sculptures de Lipchitz car il trouve ses oeuvres fortement architecturées. Il écrit:« Les sculpteures comme Laurens, Zadkine, Lipchitz et quelques autres, composent en architectes. Leur art est de l'architecture, ils sont plus architectes que bien des bâtisseurs. [...]
[...] mais il ne rédigera finalement que quelques notes basées sur une analogie entre la géométrie des lieux et le poème de Mallarmé qui l'a inspiré: Les formes cubiques du château me firent penser au titre d'un poème de Mallarmé: Un coup de dés jamais n'abolira le hasard. Ce serait le thème du film, et son titre aussi: Les mystères du château du dé. Selon Neil Baldwin, ce poème, écrit en 1897 est un des premiers poèmes de Mallarmé que Man Ray ait lu lorsqu'il était à Ridgefield. Les dés scandent le film, les personnages masqués, s'en remettent aux dés pour décider de ce qu'ils vont faire. Sur le deuxième carton du film est écrit: Un coup de dé jamais n'abolira le hasard. [...]
[...] Il y a aussi ce personnage accroché dans une sorte de roue et qui roule sur la terrasse comme les boules vues précedemment. L'homme du cinéma surréaliste reste l'homme, fou, déréglé, inséré dans un monde absurde et vil, mais l'homme pourtant. ( . ) baigneurs masqués dans Les mystère du château du Dé, nous le reconnaissons cependant comme notre semblable, décortiqué, mis à nu dans un contexte volontairement étrange ou répugnant. Autrement dit, bien qu'irrationnel par son comportement, l'homme du cinéma et cela tient à la nature même de cet art reste un homme bien vivant. [...]
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