Les personnages de Desplechin sont toujours plus ou moins fous, ou sont considérés comme tels, que ce soit dans " La sentinelle ", dans " Rois et reine " ou dans le plus récent " Un conte de Noël ". Mais " Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle)" pousse à l'extrême cette omniprésence de la folie : non seulement la quasi-totalité des personnages principaux sont névrosés, mais ceux qui semblent représenter l'idéal de la normalité sont eux-mêmes qualifiés de fous par les autres.
Ce caractère omniprésent de la folie est rendu possible par le fait qu'elle peut résider dans le quotidien le plus anodin, pour autant que celui-ci soit considéré comme signifiant. Des gestes minimes apparaissent alors, à tort ou à raison, comme signes de la folie, et c'est à ces signes que nous nous intéresserons. D'abord pour interroger leur statut de signes, à travers le jeu ambigu de Jeanne Balibar, ensuite pour montrer à travers les jeux de Mathieu Amalric et d'Emmanuelle Devos qu'un acteur peut jouer avec les limites du signe, révélant ainsi ces limites et les dépassant.
[...] Ce n'est pas encore le pire, tant que l'on peut dire : ceci est le pire écrit Shakespeare dans Le roi Lear. Ce vers trouve une illustration inattendue dans cette séquence : le désespoir, comme le trop-plein d'émotion de la scène avec Bob, sont trop profonds pour être dicibles. Cependant Desplechin, s'il ôte l'expression à Devos, ne lui enlève pas l'expressivité. A l'inverse, il prive Amalric de cette expressivité en le faisant littéralement arrêter de jouer lors de la scène de sa crise d'angoisse au cours de son jogging. [...]
[...] Si la folie chez Desplechin se définit par un écart entre les signes et ce à quoi ils renvoient, alors les personnages de Comment je me suis disputé sont quasiment tous fous. Mais cette folie des personnages n'est, comme on l'a vu à travers l'étude du jeu d'Amalric, que la conséquence du jeu des acteurs : en empêchant toute correspondance mécanique entre une expression et sa signification, ils révèlent et dépassent les limites du jeu conventionnel. [...]
[...] Il les interprète à la suite, sans transition, faisant de sa performance une sorte de one-man-show schizophrénique. C'est ce choix de jeu qui donne au personnage de Paul un caractère un peu fou, qui se remarque surtout par les soudaines poussées de violences dont Paul est victime, la colère étant souvent une des interprétations possibles de la scène. Mais le jeu d'Amalric se caractérisant par la succession, la colère n'est jouée que par accès, et cette concision dans l'agressivité accentue son caractère angoissant. [...]
[...] Valérie oscille donc entre enfance et adolescence, mais elle n'a jamais le côté hystérique de cette catégorie d'âge. Dans la séquence où Paul et Valérie passent la nuit chez le professeur Tchernov, elle adopte une attitude infantile et ne cesse de provoquer Paul, mais sans jamais quitter un air et une voix toujours très doux. On peut d'ailleurs noter un parallèle entre la colère montante de Paul qui se traduit par un haussement progressif de la voix et le decrescendo de la voix de Valérie qui se termine sur une ultime provocation Non mais crie, crie crie crie ! [...]
[...] Son rire est franc lorsque Paul la quitte (photogrammes 2 et ses yeux brillent lorsqu'il lui explique les raisons de la rupture (phot. elle semble on ne peut plus épanouie alors qu'elle lui dit t'étais nul avec moi (phot. et elle affiche un visage rayonnant (phot et en disant à Paul ça te fait bien chier que je sois là, hein ? Tu regrettes de m'avoir invitée ? Ce décalage entre l'expression attendue et l'expression jouée déconnecte le signe (le rire) de sa signification habituelle (la joie). [...]
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