Lorsque Deleuze écrit que le cinéma est passé de l'image colorée à l'image-couleur, il fait référence à un tournant de l'histoire du cinéma après lequel les films cesseront d'utiliser la couleur comme un symbole (donc pour tenir un discours sur leur récit) et s'en serviront de façon à tenir un discours sur la couleur en tant que telle. Toutefois, on assiste depuis peu à une nouvelle évolution dans la réflexion sur la couleur au cinéma. En effet, certains cinéastes commencent à ne plus utiliser la couleur dans l'optique d'une réflexion sur sa nature et sa fonction, mais dans celle d'une réflexivité du film, qui porte alors, à travers cette pensée de la couleur, un discours méta-cinématographique (...)
[...] L'incarnat disparaît à la faveur du bleu disco des boîtes de nuit. Hou fait de Taipei tout entier une discothèque : où que les personnages aillent, ils seront traqués par ce bleu, qui n'existera bientôt plus seulement en tant que lumière, mais en tant que couleur. Il semble que le bleu de la modernité persiste tellement qu'il s'intègrera bientôt aux êtres pour devenir la couleur naturelle des corps, les bars et les boîtes étant déjà leurs habitats naturels. Mais pour l'instant, cette lumière de la détection, de la trace, du laboratoire se contente de révéler la matière avant de penser à l'intégrer. [...]
[...] Il n'y a d'ailleurs ici aucune lumière : le soleil est inexistant, et tout le plan semble plongé dans un épais brouillard de neige (photogramme 17). La neige sera un motif récurrent du séjour à Yubari : elle sera l'occasion pour Vicky de laisser enfin des traces quelque part, alors que tout le film s'était efforcé d'en chercher. La marque de Vicky fera l'objet de toute une séquence de jeux dans la neige, qui se finit par Vicky tombant face contre sol dans une montagne de poudreuse, y laissant une empreinte de son visage (photogrammes 18 et 19). [...]
[...] Cette absence du corps, assumée et non subie, est par là même dénoncée. De plus, un élément contraste avec cette esthétique de l'abstraction : Wakizaka, le personnage principal. Sa laideur, la constante mise en avant de son trop-plein d'humanité (il sue, est faible, répugnant et constamment excité) sont une dissonance au sein de la symphonie des corps divins. Mais Oshima ne laissera pas d'autre indice : c'est au spectateur de faire l'effort de se soustraire aux habitudes du cinéma classique. III. [...]
[...] Celle-ci ne nous est dévoilée qu'une fois, à la 19e minute du film, dans une séquence qu'analyse Jean-Michel Durafour comme une séquence significative de l'expérimentation houienne. Cette scène de sexe nous est en effet montrée indirectement, comme dans une surface réfléchissante mal définie ou à travers une vitre bleue translucide (photogramme 31). Jean-Michel Durafour parle à ce propos de plan non figuratif, traversé par des sensations visuelles pures (des taches de bleu, de jaune, des cercles), où la caméra prend les objets de si près qu'ils ne sont pas reconnaissables, où Hou Hsiao-hsien filme des textures lumineuses Le but de cette séquence quasi-expérimentale serait de nous plonger dans un monde narcoleptique, kaléidoscopique, luminescent ( les effets de stroboscopes pulsatifs de la scène immédiatement antérieure, dans la discothèque ( ) contamin[a]nt la sphère intime, à son tour fractionnée, inconsistante (photogramme 32) ; amour par absence des corps, copulation mécanique, communication gélifiée L'intimité a beau être inconsistante les corps, eux, sont présents, bien tangibles, et ne sont même que ça : l'absence de toute affection réduit l'acte sexuel à une copulation Corps qui ne se désignent plus que comme tels dans Millenium Mambo ou qui sont le pur produit d'une subjectivité dans Les Plaisirs de la chair, le constat sur les corps modernes reste le même : ils n'ont pas d'existence effective. [...]
[...] Ce dernier est constamment filmé dans un surcadrage au- devant duquel Vicky vient parfois se placer (photogramme mais sans jamais y rentrer, et à l'intérieur duquel Hao-hao s'avance parfois vers Vicky, mais sans jamais que l'on le voie en sortir Le premier plan et l'arrière-plan se regardent, mais ne se rencontrent jamais, figurant deux univers différents, dont les protagonistes sont bien conscients : Il lui disait qu'ils venaient de deux mondes différents, nous explique la voix-off de Vicky. Il disait : Tu es venue de ton monde et tu es tombée dans le mien. C'est pourquoi tu ne comprends pas mon monde. Cependant l'espace conjugal est trop étroit pour que ces deux univers ne finissent pas par se contaminer. Vicky ira alors se réfugier dans les bras de Jack, plus riche et plus âgé que Hao-hao, dont l'appartement aux couleurs chaudes (photogramme 10) semble l'écarter de cet omniprésent bleu fluorescent. [...]
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