Lorsque Raymond Depardon décide en 1979 de tourner San Clemente, cela fait déjà quelques années qu'il arpente l'île vénitienne et l'hôpital psychiatrique qu'elle abrite depuis 1880 pour en tirer des séries de photographies en noir et blanc. C'est donc avec une caméra et une preneuse de son, Sophie Ristelhueber, qu'il entreprend d'approfondir sa réflexion sur la folie. Car là où certains pourraient y voir un acte de voyeurisme condamnable, Depardon préfère envisager sa démarche comme un questionnement sur la définition de la folie et son traitement par la société... En s'appropriant l'outil filmique dans son utilisation la plus simple, à savoir restituer l'expérience de la réalité, Depardon embarque le spectateur avec lui, au milieu des "fous". Comment dès lors "lire" l'image et "entendre" le propos du documentaire ?
[...] La folie n'est-elle qu'un artifice ? Encore une fois le questionnement sur la réalité de ce qui est montré atténue l'impression positive laissée par la scène précédente. Et finalement, dans le plan suivant, l'agressivité de la vieille femme à lunettes (comme au début du film) signifie aux deux documentaristes qu'ils restent des étrangers et qu'ils n'ont pas leur place ici. Dario toujours aliéné à San Clemente, la femme qui chasse la caméra : c'est un retour au point de départ auquel le spectateur assiste. [...]
[...] Tout d'abord, le thème de l'enfermement est ici doublement redondant. Le discours de l'homme en est un parfait exemple. Répétitif, déstructuré, sans aboutissant, autobiographique par moments, délirant le plus souvent . Des insultes fusent sans que l'on puisse identifier le destinataire, on essaie de déceler une vérité cachée dans cette suite de logorrhées : le spectateur est déboussolé. Quand l'homme semble connecté à la réalité présente (il offre une cigarette à Raymond, il s'adresse à la caméra et parle du micro de Sophie, son regard se fixe . [...]
[...] La caméra s'accroche à ses pas et balaie rapidement l'endroit. Une femme assise se balance d'avant en arrière : est-elle folle ? Déambuler et prendre le pas de ceux qu'il croise : c'est ainsi que Depardon compte hanter San Clemente. Retour à la femme du début qui ne se préoccupe pas un instant de la présence de la caméra quand d'autres s'interrogent. Elle s'installe et prend possession du lit La caméra saisit ici un instant de vie banal où affleurent l'isolement et l'enfermement des individus dans la répétition de gestes quotidiens au point de ne plus avoir conscience du monde alentour. [...]
[...] Conclusion Le visionnage de San Clemente laisse perplexe. Raymond Depardon et Sophie Ristelhueber réussissent pleinement à rendre perceptible et emphatique leur déambulation au milieu de ces figures où le masque de la folie s'est posé. L'indignation face à un monde laissé à l'abandon, la pitié à la vue de ces corps prostrés dans des postures désarticulées, la tristesse d'observer le désarmement des médecins, la peur de ce continent désert qui devient dissolution de l'effroi (citation de Depardon extraite d'un texte accompagnant une photo de San Clemente) : les sentiments se mélangent et se dissolvent. [...]
[...] Enfin fondu sur une deuxième photographie de l'île de San Clemente entourée d'eau avec Venise en arrière-plan. Cette scène d'ouverture est donc composée d'un plan-séquence et de la succession de deux photographies et du titre intercalé. Le but pour Depardon et Ristelhueber est de présenter leur film en apportant un maximum d'informations au spectateur. Le noir et blanc, l'absence de voix-off, cela a déjà été abordé précédemment. Le style caméra à l'épaule pour reproduire au mieux le regard également : les micros mouvements de caméra donnent l'impression au spectateur de s'immerger dans l'action. [...]
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