Ce caractère omniprésent de la folie dans Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) est rendu possible par le fait qu'elle peut résider dans le quotidien le plus anodin, pour autant que celui-ci soit considéré comme signifiant. Des gestes minimes apparaissent alors, à tort ou à raison, comme signes de la folie, et c'est à ces signes que nous nous intéresserons. D'abord pour interroger leur statut de signes, à travers le jeu ambigu de Jeanne Balibar, ensuite pour montrer à travers les jeux de Mathieu Amalric et d'Emmanuelle Devos qu'un acteur peut jouer avec les limites du signe, révélant ainsi ces limites et les dépassant (...)
[...] - Balibar Les signes comme symptômes de la folie Dans Comment je me suis disputé, les personnages ne cessent de faire de la psychologie. Dès la première séquence, Paul s'auto-analyse lors d'une séance chez son psychothérapeute. Son meilleur ami, Nathan, interprète sans arrêt les événements et Bob, le cousin de Paul, qualifie à peu près chacune de ses connaissances de dingue Ces trois personnages voient la folie partout : dans le port d'une bague à l'index, dans celui d'un stérilet, ou encore dans le fait de ne pas fumer. [...]
[...] La première scène où on la voit après sa rupture avec Paul est à ce titre programmatique : Esther est de dos, la tête entre les mains, sanglotant (phot et 10). Pourtant, à la faveur d'un pivotement vers le spectateur, on s'aperçoit que ce que l'on a pris pour des pleurs est un rire étouffé, maintenant expansif et franc (phot. 11) Ici, on a pris un sentiment pour son contraire, mais il arrive que les deux sentiments contraires se rejoignent dans une séquence, à quelques secondes d'écart. C'est le cas dans la scène de la douche[2], lorsqu'Esther a de nouveau ses règles. [...]
[...] Si cette bague est pour eux un signe de folie, c'est qu'elle est sans signification, ce qui la rend d'autant plus inquiétante. Mais pour juger ce caractère alarmant, il faut au préalable avoir constitué cet objet en signe, ce que ne fait pas Valérie : la bague comme les andouillets ne sont pour elle que de simples objets, et en tant que tels, ils ne peuvent être des preuves d'une quelconque folie. Celle-ci n'existe pas hors du signe, et c'est pourquoi le seul porteur de la folie est celui qui en véhicule l'interprétation. [...]
[...] La première des trois séquences muettes de Comment je me suis disputé est celle où Bob croise Esther dans la rue, mais l'élan avec lequel il se jette sur elle la prive momentanément de voix. Elle parle alors avec lui par gestes, tout en gardant une étonnante expressivité (phot à lui faisant comprendre qu'elle est muette parce que trop émue Dans le cas présent, le sentiment est tellement fort qu'il ne peut être exprimé. Cette séquence fonctionne en miroir avec une autre, dans laquelle c'est une nouvelle fois un trop-plein d'émotion qui empêche Esther de parler, même si le sentiment est cette fois d'une toute autre nature. [...]
[...] On la voit rire aux éclats sous sa douche puis fondre en larmes quelques secondes après Cependant, l'écart est si bref entre ces deux postures que l'on peut difficilement croire à un revirement du sentiment. Puisque l'on a vu que l'expression peut être déconnectée du sentiment, il est ici clair que le changement de signe n'implique pas un changement de référent. Les deux comportements, aussi contraires soient-ils, sont deux expressions complémentaires d'un même sentiment. En ce sens, on peut dire que le jeu de Devos est dialectique puisqu'il obéit à l'équation expression A + expression non-A = sentiment N. [...]
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