Camp antidreyfusard, Bloc des gauches, échec du boulangisme « révisionniste », J'accuse de Zola, lutte des classes
La culture de conflit s'épanouit au rythme d'un assaut à la scansion hachée : crise boulangiste
dénouée en 1889, affaire de Panama en 1892, vague anarchiste en 1893-1894, affaire Dreyfus an
amont, défense républicaine du gouvernement Waldeck-Rousseau, offensive du Bloc des gauches,
Séparation de 1905, luttes sociales de 1907-1908, montée des tensions internationales puis guerre à
l'été 1914. Continûment, l'Etat républicain n'a pu réponde à la montée des périls qu'en exacerbant le
conflit pour mieux le surmonter.
Comme l'a montré Odile Rudelle, toute évolution constitutionnelle étant récusée depuis 1885, une «
République absolue » ne pouvant pas prendre ses aises, le « modèle » républicain ne s'imposera qu'à
condition de respecter une stricte « discipline » républicaine.
[...] L'Affaire n'a donc pas magnifié la lutte des classes, au contraire, elle a dérouté ses acteurs et troublé le sens de leur combat dès que l'affrontement autour de Dreyfus a montré que l'enjeu pour faire signer aux Français un nouveau contrat républicain était la fidélisation des classes moyennes. Médiane sociale et media nouveau : la France va se diviser et se recomposer à proportion d'un accouplement de ces deux vecteurs, ce que comprirent immédiatement les radicaux. L'Affaire a ainsi posé cette vérité moderne de la représentation, ce qui en fait, comme disait Péguy, Notre jeunesse. [...]
[...] Ainsi, gardien des valeurs démocratiques mais ne pouvant bousculer un jeu hérité, honoré symboliquement mais pourtant qu'épisodiquement écouté (son cri de naissance, J'accuse, fut même récupéré par les politiques), l'intellectuel est confronté à un dilemme : s'il cultive sa spécificité pour étendre son audience sociale, il risque de se couper des élites du pouvoir et de l'argent. L'intelligence recherche désespérément son unité tout en s'invectivant. Dès le temps de l'Affaire, elle a produit une élite gratuite, un mandarinat pour lui-même (Christophe Charles). [...]
[...] De même, la presse, mobilisa les foules et fit vivre intensément le conflit, depuis la note anodine de l'enragée Libre Parole lors de l'arrestation de Dreyfus jusqu'au tapage du J'accuse de Zola dans L'Aurore. A chaque épisode, l'enquête, l'écho, la provocation sont concoctés selon les règles d'un 2 journalisme à l'ancienne, puis Havas les reprend et les grands journaux à un sou transforment l'indiscrétion en scoop Cette médiatisation à épisodes a transformé le métier de journaliste et a érigé la presse en organe de la conscience des masses, au risque de manipuler des millions de lecteurs. [...]
[...] Une seconde réponse fut l'introduction de partis politiques équilibrant la toute-puissance des Assemblées élues et capables d'exprimer un besoin d'organisation : en 1901, le passage des comités électoraux informels au parti chez les radicaux favorisa la mutation d'où sortirent les partis contemporains. Ces solutions formelles étaient insuffisantes car il fallait que les acteurs aient intériorisé les révolutions de l'éducation et de la communication et admis les progrès culturels dont l'Affaire avait révélé l'ampleur. L'école de Ferry ne s'est pas tenue à l'écart du conflit. La jeune Université a aussi été un protagoniste très actif du trouble national. [...]
[...] Le dénouement de la crise fut électoral et gouvernemental, conduit dans la fidélité à la défense républicaine Cette issue politicienne fut trouvée au grand dam des dreyfusards les plus mystiques comme Péguy, et au profit du mouvement ouvrier lui-même qui sut prendre de plain-pied la défense d'une République bourgeoise et a dû intérioriser l'idée que le pacte républicain débordait le socialisme. Cette orchestration républicaine fut riche surtout parce qu'elle avait pris des formes nouvelles qui devinrent durables. La rencontre de principes en effervescence et de troupes prêtes à les servir est le lieu où affleure la modernité politique de l'Affaire et la raison de sa postérité idéologique. Deux forces hétérogènes surgirent et redistribuèrent la donne : les intellectuels et le populisme. [...]
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