La production médiatique de la guerre du Golfe fut, dès son déclenchement, un révélateur du poids des médias dans les sociétés occidentales, mais aussi de leur fragilité. La couverture de cette guerre par les médias débuta réellement le 16 janvier 1991 et illustra une double tendance de ceux-ci : à la fois une surinformation et une désinformation, c'est-à-dire une accumulation d'images spectaculaires et un contrôle à la source des principales informations par les autorités militaires.
Les relations entre les journalistes et les militaires, dont on a pu avoir une nouvelle illustration au cours des frappes aériennes en Yougoslavie et au Kosovo, ont permis à ces derniers de transmettre des informations erronées. Pourtant, une enquête d'opinion menée immédiatement à l'issue du conflit indiqua que plus des trois-quarts de la population française estimait avoir été bien informés durant le conflit.
La guerre du Golfe, qui constitue un tournant dans le traitement médiatique des conflits armés, et d'autres guerres depuis, apportent la preuve qu'il existe aujourd'hui une étroite relation entre la vision qu'ont les citoyens-individus de l'évolution de leur Etat et de leur Nation, et le traitement médiatique que reçoit la vie d'un régime politique, essentiellement à travers un petit nombre d'événements soigneusement choisis. Cela ne revient pas à dire que les médias aient plus de pouvoir ou plus d'influence sur les personnes qu'”auparavant” : il n'existe pas d'âge d'or de l'autonomie de jugement des citoyens. Jusqu'à la naissance de la République en France par exemple, on sait que les journalistes ont toujours eu un rôle plus ou moins déterminant. Cela ne revient pas non plus à dire que les démocraties se soient elles-mêmes réduites à une succession d'actes donnant l'impression que la vie de celles-ci n'est rythmée que par l'événementiel et l'éphémère, voire, aux yeux de certains, la manipulation à travers une stratégie de communication bien organisée. Dans un cas comme dans l'autre, il est assez aléatoire de juger qu'il y a eu une évolution décisive.
Ce qui a donc changé, ce n'est non pas tellement la relation entre les médias et la démocratie, c'est bien plus les médias d'une part et la démocratie d'autre part. Les médias se sont diversifiés, ils se sont également organisés sous la forme d'entreprises parfois puissantes sur lesquelles s'exercent des enjeux financiers importants. La démocratie de son coté connaît une crise de légitimité, du fait du relatif discrédit des élites tant au niveau des représentants que des gouvernants ou des experts. Et dans les deux cas, la conséquence en a été une modification du citoyen-individu, qui est aussi un consommateur, avide d'images -dans tous les sens du terme- instructives, divertissantes ou spectaculaires, mais qui n'a pas non plus, quoi qu'on en dise, totalement perdu son sens critique, même si celui peut s'exercer de manière très inégale.
C'est de ce constat qu'est née la notion de “démocratie d'opinion”, dont la pertinence est vérifiée chaque jour, au gré des multiples sondages, des reportages démagogiques, des films stéréotypés, ou du contenu parfois douteux du point de vue du respect des libertés individuelles de certains sites internet. Que ce type de démocratie, à supposer qu'il puisse être considéré comme tel, existe, c'est une réalité incontournable ; que son pouvoir soit le témoin d'une certaine dérive des régimes démocratiques, c'est également certain, encore qu'il convienne d'en restituer l'exacte portée.
De fait il apparaît que la démocratie des médias certes modifie les règles du jeu démocratique normal, mais il serait exagéré de faire de la politique une victime de l'influence des médias, tant ceux-ci sont nécessaires à la constitution d'un espace public, un des fondements de la démocratie.
[...] On a dit que les médias servaient la démocratie directe. Mais d'une certaine façon ils la condamnent également, en ce sens que les interlocuteurs, les sujets sont soigneusement choisis et monopolisent finalement l'attention du public jusqu'à ce que les intérêts, les sujets de discussion de quelqu'un occupent tout l'espace public et excluent ainsi les voix minoritaires sans même que celles-ci puissent être jugées par le plus grand nombre. Et c'est aussi une des raisons du caractère étouffant pris par certains experts dans des sujets qui concernent pourtant la communauté : c'est d'ailleurs le cas de Bourdieu lui-même. [...]
[...] Beaucoup d'enquêtes ont été faites qui amènent souvent à relativiser l'impact de la radio et de la télévision, sans toutefois le nier. II. C'est du reste au niveau de cette articulation que le rôle de la presse dans toute société ayant au moins des aspirations démocratiques est le plus important, mais il est aussi potentiellement dangereux. La fonction, c'est celle traditionnelle de contre-pouvoir au politique. Le risque, c'est celui d'un double mouvement de spectacularisation et de réduction du politique à un simple jeu d'apparences et de déclarations. [...]
[...] Mais on en voit aussi assez clairement les risques : d'abord, orienter le jugement des personnes dans un sens qui n'est peut-être pas celui de la vérité, ensuite discréditer de façon inappropriée les décisions politiques, sachant que par exemple les intérêts de la diplomatie ou de la défense nationale sont défendus par une chaîne compliquée de stratégies pouvant le cas échéant, sinon justifier, du moins expliquer, certaines entorses aux principes démocratiques, ce que l'individu, sans connaissance particulière peut méconnaître. En ce sens, la distance séparant le média -garde-fous de la démocratie du média-fossoyeur de la démocratie est très mince. Il reste qu'historiquement les médias se sont toujours trouvés intégrés dans des processus politiques, en particulier dans la mesure où ils exercent une sorte de tutelle sur l'espace public, ne serait-ce que parce qu'ils provoquent ou guident les sujets de discussion. Un exemple frappant à cet égard est celui de la grève des chauffeurs routiers de 1992. [...]
[...] Pour autant il serait caricatural d'estimer que le développement des médias en même temps que le raffinement des stratégies de communication des politiques aille à l'encontre des aspirations d'une société démocratique. Outre que c'est porter un regard extrêmement négatif sur les capacités critiques de tout individu, rejeter l'influence prise par les médias dans l'espace public reviendrait précisément à priver la société des moyens de former ses jugements et d'exercer librement ses choix. En effet, à l'exception de la Suisse, la démocratie ne fonctionne réellement que du fait du principe de la représentation et nier le rôle des médias, ce serait nier le besoin de toute société à se constituer des représentations de soi- même que ce soit à travers ses hommes politiques, à travers ses intellectuels, ses sportifs ou autres. [...]
[...] Mais on sait aussi, essentiellement depuis le débarquement des troupes américaines dans le cadre de l'opération Restore Hope, que ces images sont souvent mises en scène. Cela ne signifie pas qu'il y ait manipulation, cela signifie que toute image porte en elle-même son sens, mais qu'il n'est pas forcément celui d'une part que les journalistes entendaient lui donner, d'autres celui que les individus lui attribuent. Dans ce cas la violence devient comme désincarnée, elle exprime la brutalité pure, et il n'est sûr que les téléspectateurs aient le réflexe de relier ces images avec des problématiques politiques, et notamment l'usage qu'ils font et doivent faire de leurs droits. [...]
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