La Guerre du Vietnam, précédée de celle d'Indochine et de Corée, marque alors une vraie révolution, à commencer par la nature même du combat. Encore aujourd'hui, personne ne s'accorde sur le début et la fin d'un conflit vietnamien sans déclaration de guerre. Après la défaite française de 1954 et la partition du pays en un Nord communiste et un Sud anticommuniste, les Etats-Unis, dans leur politique de confinement de la Chine, choisissent de soutenir le Vietnam du Sud contre les insurgeants Viêt-Cong. Ils commencent dès 1961 par envoyer des "conseillers militaires" –jusqu'à seize milliers- puis lancent en 1965 la première grande opération offensive, Rolling Thunder, qui lancera l'escalade d'un conflit antirévolutionnaire, au front disséminé, perdu dans la jungle vietnamienne.
C'est dans ce contexte que se développe une nouvelle esthétique de la guerre. Si, selon Jacques Portes, "ces photographies n'apportent pas de nouvelles interprétations à l'historien (et deviennent) un prétexte destiné à illustrer la puissance des armées et la bonté des soldats ", il nous semble au contraire qu'elles apportent une sensibilité et une connaissance nouvelles du phénomène guerrier. Du fait de leur grande diffusion d'une part, et de leur attachement au vécu du soldat d'autre part, elles contribuent à l'émergence de la figure du "grunt". Généralement traduit en français par "fantassin" ou "bidasse", ce mot provient du verbe to grunt, "grogner". Premièrement utilisé lors de la Deuxième Guerre Mondiale, son utilisation se répand dans les médias lors de la Guerre du Vietnam.
Nous tenterons donc de voir en quoi la guerre du Vietnam a permis la constitution de la figure du grunt comme représentation dominante de la guerre. Nous sommes conscients du risque, inhérent à un tel sujet, d'adopter une posture téléologique face un phénomène –les représentations collectives- difficilement et, du reste, peu étudié dans leur relation à la photographie.
Nous analyserons tout d'abord les conditions d'émergence d'une photographie de guerre à taille humaine et empathique. Puis nous étudierons trois photographies de guerre et les figures qu'elles développent. Enfin, nous tenterons d'étudier l'héritage culturel de la guerre du Vietnam à l'aune de la figure du grunt.
[...] Cependant, cette figure nous montre le "besoin compulsif de revenir encore et encore au trauma culturel de la guerre du Vietnam[27]". Conclusion La photographie de la guerre du Vietnam, relayée par le cinéma, a donc fait du grunt un enjeu capital dans la conscience qu'une nation a des conflits qu'elle mène et d'elle-même. Surtout, le standard adopté pour juger une guerre devient celui du corps du soldat : "war is relentless in taking for its own interior content the interior content of the human body[28]". [...]
[...] On voit bien ici la consubstantialité que Cappa établit entre sa pratique et les combats. Le photographe va parfois même jusqu'à jouer le traducteur improvisé, comme à Troina, en Italie, où il transmet l'ordre de reddition inconditionnelle, voire d'infirmier. Il est d'ailleurs intéressant qu'une des premières récompenses que Robert Cappa reçut fut la Croix de Guerre avec palme à l'ordre de l'armée. John Steinbeck écrit en 1966 que Robert Cappa "savait, par exemple, qu'on ne peut pas photographier la guerre parce qu'elle est surtout émotion. [...]
[...] Entre temps, des événements tragiques et très médiatisés de la guerre sont intervenus : l'offensive du Têt en 1968, et surtout le massacre de mi-Lay en 1971, dont des vues prises par un soldat ont été révélées à la presse. D'autre part, des photographes qualifiés aujourd'hui de dauphins (Griffiths, Mc Cullin etc.) publient dès les années soixante-dix des monographies sur la guerre, extrêmement engagées, et montrant des facettes moins médiatisables de la vie des grunts : prostitution, assassinat d'enfants etc. D'autre part, les psychiatres militaires mettent au point la notion de Post Traumatic Stress Disorder, réaction psychique à la violence des combats. [...]
[...] Cette photographie, comme de nombreuses autres au Vietnam, est "bruyante" ; elle nous laisse entendre la machine assourdissante qu'est un fusil-mitrailleur. Pourtant, le soldat de droite porte des boules Quiès ; il n'a pas besoin d'entendre arriver un danger, il n'est pas sur le qui-vive. La cigarette est elle aussi signe de placidité, d'indifférence face au danger. Elle est également symbole de virilité hérité de l'imagerie du Far West, à une époque où une femme qui fume en public est encore mal vue La domination La photographie de John Griffiths (photo 10) fut publiée dans le Times anglais, puis dans une monographie sur la guerre du Vietnam publiée en 1971. [...]
[...] Ainsi, début 1965, l'agence Associated Press prête pratiquement à n'importe qui un appareil et une pellicule et promet de payer quinze dollars toute photographie jugée publiable. Plusieurs photographes amateurs vont commencer de cette façon. Il semble qu'il y ait "une inépuisable réserve de jeunes hommes prêts à s'exposer à des formes de danger absolu"[15]. Ces photographes sont de la même génération que les soldats volontaires et nourrissent des ambitions comparables, de réussite et d'aventure. Comme les militaires, ils ont très peu d'expérience du terrain et encore moins de la jungle. [...]
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