Si les représentations politiques contemporaines renouvellent la question de la nature et du rôle de l'opinion publique, cette problématique est à l'œuvre dans les sociétés démocratiques – et notamment en France – depuis l'institutionnalisation du « gouvernement par la discussion » et de la volonté d'intégrer les « masses citoyennes » aux décisions publiques. Ainsi, si les définitions actuelles traduisent la variété des interprétations formulables à l'égard de l'opinion (la société n'étant pas monolithique) et du qualificatif public (désignant le peuple ou un caractère officiel, voire notoire), ces variétés sémantiques sont aussi le fait des évolutions historiques subies par la notion d'« opinion publique ». Si sa souveraineté est aujourd'hui reconnue comme principe fondamental de l'inconscient collectif, elle a subi de profondes mutations depuis son apparition au cours du XVIIIe siècle, pour acquérir une caractérisation théorique – voire allégorique – de plus en plus qualifiante, mais à l'influence politique souvent équivoque. C'est d'abord l'aboutissement institutionnel des Lumières qui engage une définition « anti-absolutiste » de l'opinion publique : elle fonderait une « sagesse collective » par la publication des positions de l'élite éclairée. Un écrit datant du début de la période révolutionnaire française indique ainsi « Le roi conjura toutes les lumières de se réunir autour du trône pour éclairer la chose publique ». Mais l'association de cette opinion publique à la prise de décision politique suppose la substitution d'un corps porté par la Raison pour « revendiquer l'exercice du pouvoir » aux individualités citoyennes.
Or, la « Raison» convoquée par le corps souverain réuni n'étant qu'une représentation, les révolutionnaires se trouvent confrontés à la problématique, pérenne, d'un nécessaire choix des représentants habilités à « dire l'opinion publique ». La contradiction fondamentale de son intégration politique est dès lors formulée : comment préserver la souveraineté populaire dans la définition de l'opinion publique, tout en rationalisant ses vecteurs d'expression pour en garantir l'intérêt collectif et la cohérence ? En effet, si l'évolution des régimes politiques vers la modernité démocratique fonde la nécessité du pluralisme des opinions et de leur reconnaissance ; Holtzendroff doit constater, dès 1879, le penchant versatile et inconséquent d'une opinion publique autonome. En cela, son institutionnalisation progressive fonde aussi son encadrement graduel : si l'essor de la presse nationale et des instruments de consultation de ce corps collectif lui permettent d'être reconnu et légitimé, sa médiation engage aussi un risque de subordination de l'opinion aux orientations des élites médiatiques, et politiques.
Ainsi, l'opinion publique est-elle le fondement social de la souveraineté populaire, ou une construction politico-médiatique fallacieuse ? Si l'idéal collectif d'une opinion publique souveraine est essentiel à la conception démocratique d'une communauté politique, la routinisation des modes d'analyse et d'expression de cette opinion publique peut toutefois aboutir à l'accaparement de ses ressources politiques et symboliques par ses transcripteurs et « représentants », devenus faiseurs d'opinion.
[...] Ainsi, l'opinion publique est-elle le fondement social de la souveraineté populaire, ou une construction politico-médiatique fallacieuse ? Si l'idéal collectif d'une opinion publique souveraine est essentiel à la conception démocratique d'une communauté politique, la routinisation des modes d'analyse et d'expression de cette opinion publique peut toutefois aboutir à l'accaparement de ses ressources politiques et symboliques par ses transcripteurs et représentants devenus faiseurs d'opinion. L'idéal collectif d'une opinion publique souveraine est essentiel à la conception démocratique d'une communauté politique L'État moderne, dépositaire de la souveraineté populaire, inscrit idéalement ses actions dans la représentation des volontés d'une opinion publique valorisée Insistant sur leur caractère irréductiblement antithétique, Jürgen Habermas distingue les notions de Publicité d'une part, et de Publicité d'autre part. [...]
[...] Mais le risque est alors de voir les journalistes se muer en véritables leaders d'opinion au potentiel d'influence délicat à réguler. Ceux-ci étant, conjointement à la classe politique, quasi exclusivement issus d'une élite sociale peu représentative de l'ensemble des publics, la puissance de l'opinion vantée par Tarde se trouve confrontée au risque d'être accaparée par une élite comparable, en dernière analyse, à celle de l'Ancien Régime. C'est ainsi que si le XXe siècle ne réfute plus l'existence d'une opinion publique, il s'interroge, à l'instar du rédacteur de l'article la concernant dans la Grande Encyclopédie Larousse (au début du XXe siècle), sur la diversité des agents qui prétendent la représenter ou la dire Devant cette menace de délégitimation, l'opinion publique s'incarne à nouveau dans des manifestations de masse, qui contournent la nécessité représentative de s'en remettre à des agents de médiations, et se développent considérablement durant le XXe siècle. [...]
[...] Paris, Minuit Jürgen Habermas, L'espace public, Paris, 1962. [...]
[...] Wilhelm Hennis propose ainsi l'instauration d'organes spécifiques destinés à transmettre l'opinion éclairée des élites vers le peuple, en sacrifiant pour la bonne marche de l'État l'universalité à la rationalité aux critères institutionnels : Fraenkel assimile ainsi la volonté de l'opinion dans son ensemble aux dispositions adoptées par la majorité parlementaire : L'opinion règne, mais ne gouverne pas Ses volontés doivent en outre être formalisées par des partis (G. Leibholz). Mais ces deux thèses consacrent la mainmise d'organes de médiation et d'encadrement sur une opinion publique alors bien peu autonome. [...]
[...] La naissance des procédés d'analyse des volontés de l'opinion publique crée les conditions de l'adaptation effective des dispositions politiques à la volonté générale. Les dirigeants politiques démocrates ne pouvant concevoir de gouverner en éludant l'exigence d'assentiment du peuple souverain qu'ils doivent représenter, les techniques de sondage de l'opinion, généralisées à la fin des années 1960 époque où les gouvernants commencent à apprivoiser les ressorts médiatiques modernes offrent la représentation d'une connaissance réputée scientifique des schémas mentaux de la société Mais, comme l'expose Alfred Sauvy, l'appréciation sociale de l'opinion publique risque alors d'être réduite aux positions simplificatrices de porte-parole des différents groupes sociaux reconnus. [...]
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