Robots, marionnettes, théâtre, Karel Capek, androïde, robotique humanoïde, marionnette de bunraku, théorie de la vallée de l'étrange, Mashimo Mori, non-humanité
Pourquoi s'intéresser au robot au théâtre ? Si la marionnette a depuis longtemps conquis le monde du théâtre (cf tous les dictionnaires encyclopédiques du théâtre), le robot, lui, y paraît déplacé, dérangeant. Peut-être à cause de l'éternelle peur du robot qui remplace l'humain, que ce soit dans l'industrie ou dans la vie courante, alimentée par la figure du robot destructeur souvent utilisée au cinéma, de Metropolis à I-Robot en passant par Terminator. La marionnette est acceptée au théâtre, car elle reste manipulée par un acteur : qu'il soit visible ou non, le spectateur sait qu'il est là. Alors que l'utilisation du robot sur scène évoque la « disparition humaine », pour reprendre le titre de la thèse de Jean-François Ballay, qui s'intéresse au remplacement de l'acteur par la machine. Mais un théâtre de robots, est-ce un théâtre sans acteurs ?
[...] Pour quelques secondes et à quelques mètres de distance, on ne pouvait pas distinguer ReplieeQ1 d'une femme trentenaire ordinaire. En réalité c'était la copie d'une femme.[17] Ces quelques secondes d'hésitation correspondent à ce que l'anthropologue Emmanuel Grimaud, spécialisé dans les mécanismes de croyance liés à des figures artificielles religieuses ou prosaïques, qualifie de deux à dix secondes de confusion ontologique Pendant un temps très court, on peut avoir l'impression d'être en face de deux comédiennes, avant que l'on se rende compte de la rigidité particulière de la femme japonaise, de ses mouvements saccadés. [...]
[...] Le corps du robot nous est donc familier, il s'agit d'un double de nous-mêmes, mais que nous avons rendu étranger par le refoulement. C'est-à-dire que ce qui nous trouble au contact d'un robot androïde n'est pas son caractère étranger, bien qu'il nous paraisse tel, mais son extrême familiarité avec nous, et pas uniquement du point de vue du physique. On juge les créatures artificielles comme les robots et les marionnettes étrangères à nous, quand bien même on puisse ressentir un fort sentiment de familiarité avec eux. [...]
[...] On sera attentifs au terme employé : elle ne parle pas de jeu, mais bien d'existence. Le robot renvoie chacun à soi, à son mode d'existence : on peut alors, avec Emmanuel Grimaud, affirmer que l'expérimentateur fait intégralement partie du dispositif en tant que sujet d'expérience au même titre que le robot. Car c'est bien sa réaction face au Geminoïd qui est guetté par le contrôleur du robot et les roboticiens, à la recherche d'une interaction parfaite, plus humaine qu'humaine. [...]
[...] En effet, la manière dont le Geminoïd s'humanise plus ou moins dépend de ceux qui l'entourent. L'être-là du Geminoïd dépend de l'impression d'humanité qu'il dégage, car c'est précisément ce qui nous fait oublier, l'espace d'un instant, qu'il s'agit d'un robot. Mais le visage du Geminoïd n'en reste pas moins un visage de silicone, et les mouvements du visage n'apparaissent au spectateur que comme des tics. C'est par l'intermédiaire du spectateur que le tic va pouvoir se transformer en expression. En effet, ses tics, ses mouvements de lèvre ou de bouche, ses petites oscillations de la tête constituent une forme de réservoir pré-expressif, ils ne font sens que s'ils s'intègrent dans une interaction qui vient les prolonger pour en faire de véritables expressions. [...]
[...] Conclusion Si le robot et les créatures artificielles androïdes sont si étrangement inquiétantes et troublantes, c'est peut-être parce qu'elles constituent une sorte de double refoulé et nous tendent un miroir dérangeant, selon la théorie freudienne. Si les roboticiens travaillent à éviter la Vallée de l'étrange théorisée par Masahimo Mori, et ainsi à éviter l'effroi lié, les auteurs et metteurs en scène comme Gisèle Vienne et Oriza Hirata en tirent profit au sein de leurs créations théâtrales. Qu'il s'agisse de déceler ce qui déclenche l'affection ou l'empathie d'un être humain envers une créature artificielle ou bien de réfléchir à la notion de réel sur une scène de théâtre, le robot s'éloigne moins de l'Homme qu'il ne lui parle (de lui). [...]
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