Siècles, cultures, contextes, origines… Nombreux sont les éléments de poids qui séparent des auteurs comme Rabelais et les Monty Python, ceux-là mêmes qui éloignent les uns des autres grands nombres d'artistes qu'a priori l'on n'envisage pas de rapprocher. A première vue on ne pense pas qu'ils puissent se ressembler, et même si c'était le cas on n'imagine pas que ces similarités soient au fond d'un grand intérêt. Mais nos auteurs ont ceci en commun d'avoir été des hommes de mouvement. Ils ont un goût pour l'exploration, l'expérimentation et la découverte qui les fait se détacher du commun. Ils se ressemblent alors en ce qu'ils ne ressemblent à rien ni à personne d'autre, qu'ils ont créé leurs propres univers. Cette grande originalité peut expliquer un autre de leurs points communs : le fait d'avoir donné naissance, dans leurs langues respectives, à un adjectif issu de leur nom. Ainsi, est « rabelaisien » ce qui est d'un comique outrancier mais truculent, et « pythonesque » ce qui provoque un rire construit sur une disparition de la logique ou du sens commun. Ces influences sur le lexique, et par conséquent sur l'inconscient collectif, laissent également penser que pour en arriver à ce stade de la reconnaissance ces auteurs ont du donner une nouvelle impulsion à leurs domaines artistiques respectifs, que la « littérature », concept sans doute très vague au XVIe siècle, a connu un avant et un après Rabelais, tout comme la création télévisuelle avec la création du Monty Python's flying circus. Ces similarités croissent encore lorsque l'on s'intéresse aux ambitions de ces auteurs ; Rabelais présente ses livres comme étant plein « de folastries joyeuses, hors l'offence de Dieu et du Roy » , tandis que Terry Jones affirme que « La seule raison d'exister des Monty Python est d'être drôles. » Ces auteurs présentent de cette manière leurs œuvres comme des créations innocentes, sans aucune prétention de déranger quoi que ce soit. Pourtant, les sujets qu'ils abordent, qui sont parfois religieux, politiques ou philosophiques, n'ont rien de léger ou de superficiel. De plus, le ton avec lequel ils les traitent n'est pas précisément léger, et c'est en hommes conscients et érudits qu'ils les envisagent.
En comparant l'œuvre rabelaisienne au travail des Monty Python, il doit être possible d'envisager celle-ci sous des angles différents qui n'apparaissent pas toujours si l'on ne sort pas Rabelais de son contexte certes incroyablement riche, mais fatalement restreint. Ces perceptions plus ou moins lacunaires de ces auteurs et de leurs œuvres apparaissent alors comme une invitation à s'interroger sur les correspondances que l'on peut établir entre elles puis, une fois ces ressemblances mises au jour et vérifiées, à révéler par un jeu de miroirs des aspects peu pris en considération mais pourtant significatifs et enrichissants de ces romans et de ces films, ou bien encore à aborder sous un angle nouveau des thèmes déjà étudiés afin d'y découvrir des richesses sous-estimées ou peu exploitées. Nous allons donc nous livrer à une étude parallèle des œuvres rabelaisiennes et pythonesques afin de mettre à l'épreuve l'intuition qu'elles sont « de même billon » et que leurs analyses peuvent s'enrichir mutuellement. Ce faisant, nous montrerons en quoi l'étude des Monty Python est légitime et enrichissante grâce au rapprochement effectué avec l'auteur respectable qu'est Rabelais, et du même mouvement nous tenterons de sortir l'étude de ce dernier de son cadre habituel. En sortant ces auteurs de leurs contextes aussi bien historiques que culturels, nous chercherons à porter sur leurs œuvres un regard différent.
Dans quelle mesure peut-on alors rapprocher ces récits ? A quels points de vue convergents et divergents donne naissance l'approche de mêmes thèmes par ces auteurs si différents ? Que révèlent ces ressemblances ou ces dissemblances ? C'est à ces questions, parmi d'autres, que nous allons nous employer à répondre.
[...] Or, les personnages de Rabelais semblent ne pas pouvoir se contenter d'une réponse de bon sens qui conviendrait à tout le monde. Ils décident donc de prendre conseil auprès de personnes censées avoir un point de vue plus original sur la question, qu'il s'agisse de sages réputés pour leurs connaissances, d'une femme réputée pour ses prophéties[206], etc. Par ce biais l'on voit que pour les personnages rabelaisiens le monde environnant est une source de questions aussi bien que de réponses. [...]
[...] Pour y parvenir, nous porterons notre attention sur la dynamique de ces œuvres, puis sur la nature des objets des quêtes autour desquels se construisent les récits, et sur le statut que ces objets confèrent aux personnages. Le mouvement est inhérent à la notion de quête, qui consiste en une forme de progression, d'évolution. Or, le mouvement est également fondamental dans les œuvres pythonesques et rabelaisiennes. On trouve chez ces auteurs une véritable dynamique, une vivacité marquée. Cela transparaît notamment dans le style. Les longues listes de Rabelais, telle celle des noms affectueux donnés par Frère Jean à Panurge au chapitre 28 du Tiers Livre par exemple Couillon flatry. [...]
[...] Jésus est par exemple presque absent de la Vie de Brian, qui se présente pourtant comme une satire religieuse ayant lieu au même endroit et à la même époque que la vie de ce dernier. Les critiques de Rabelais et des Monty Python portent donc sur autre chose. La compréhension de leur approche de la religion nécessite une lecture nuancée, dénuée de manichéisme, ce dont n'ont pas été capables les censeurs de leurs époques respectives. De même, l'œuvre de Rabelais a parfois été analysée d'une manière simpliste, ce qui a pu aboutir à la thèse anachronique d'un Rabelais athée par exemple. [...]
[...] Le folklore n'est alors plus respecté à proprement parler, il est présent, mais de manière détournée. La nouvelle morphologie du personnage est un choix fait par l'auteur. La cohérence veut bien évidemment que le fils d'un géant soit lui-même un géant, mais rien ne pousse Rabelais à aller chercher un personnage peu connu dans un récit traditionnel puis à modifier son apparence. Le gigantisme n'est alors plus un respect, mais un choix. Les Monty Python choisissent également de donner à certains de leurs personnages une apparence physique hors du commun. [...]
[...] Dès lors, une division se crée au sein du public, et certaines tendances se dessinent. Si, en Angleterre, les intellectuels ont immédiatement adhéré à l'univers des Monty Python, aux Etats-Unis ce sont plutôt les geeks savoir des scientifiques souvent passionnés par l'informatique, la science-fiction ou les super héros— qui se sont reconnus dans leur humour. La logique, si toutefois on peut la nommer ainsi, à l'œuvre dans l'humour des Monty Python semble donc plus ou moins appréciable selon les personnes et leurs centres d'intérêt, ce qui crée une sorte de communauté de happy few admirateurs. [...]
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