Au commencement était l'objet : la chose précède l'existence, il faut se l'avouer, et l'homme naît avec la conscience qu'il peut, parfois doit, s'approprier l'objet, tenter de le circonscrire pour affirmer sa place dans le monde qu'il habite. S'affirmer et non plus seulement subir les contingences de la faim, de la peur du visible et de l'invisible. Partir en quête et en conquête de cet univers nécessitait une maîtrise de la matière, une transformation première, une création initiale, et l'objet utile advint. Mais conjointement à cet apprivoisement, il convient de noter combien l'objet s'impose dans son mystère fondamental (...)
[...] Et le temps s'efface. En jouant, notamment avec l'objet, l'enfant s'abstrait et l'abstrait du même coup de la contingence et de la disparition inévitable. Un ours en peluche, un simple bout de tissus usés jusqu'à la corde, puant parfois, dépositaire d'une parole connue de l'enfant seul, n'hypothèque pas l'avenir et aux yeux du petit, conserve tous les plaisirs du passé, toujours neuf et sans cicatrices. Il en est de même avec le carton d'emballage informe d'un matin de Noël qui devient vaisseau au long cours puis radeau puis caverne au trésor, primant sur le vélo flambant neuf et utile à grandir. [...]
[...] L'enfant avec l'objet n'a pas besoin d'utile mais de rêve. Jouant avec lui, il ouvre à chaque instant un temps neuf, multipliant les possibles de sens à lui donner. N'en est-il pas de même pour l'artiste ? L'écrivain, usant de mots comme athanor, s'est plu à jouer avec les objets de ses fictions. Prenons la casquette de Charles dans le roman de FLAUBERT Madame Bovary. Sous la plume de l'auteur, le jeu repose sur la possibilité offerte aux mots de se déprendre de la situation présente, d'annuler ses contraintes, de faire que ce est ne soit plus et que ce qui n'est pas advienne. [...]
[...] Ainsi verra-t-il dans le dos d'une femme un violoncelle aux accords profonds et sensuels comme l'enfant verra dans un galet un œuf et un oiseau en devenir. Tenter de montrer la face cachée des choses en jouant avec elles, dépayser l'objet pour nous l'offrir comme dépaysement, voilà l'enjeu de l'artiste de l'objet. Objet devenant OBJEU, il est comme habité par un esprit nouveau qui nous permet d'accéder à un autre lien avec lui, peut-être enfin, OBJOUIR de lui avec un plaisir infini et intelligent. [...]
[...] Peintres et créateurs de poésie nouvelle, rugueuse et étrange, les Surréalistes sont princes en la matière. S'ils interrogent l'objet le plus simple, le plus banal, c'est que le merveilleux peut se dévoiler au quotidien. Même si, par nature, l'objet se rattache au réel et ne bénéficie d'aucun statut particulier en dehors de son aspect fonctionnel, le regard posé sur lui peut suffire à faire de lui une œuvre d'art. Ainsi PICASSO fera d'un guidon de vélo un guide de la mythologie, un dévorateur de nos illusions prosaïques, un Minotaure. [...]
[...] S'affirmer et non plus seulement subir les contingences de la faim, de la peur du visible et de l'invisible. Partir en quête et en conquête de cet univers nécessitait une maîtrise de la matière, une transformation première, une création initiale, et l'objet utile advint. Mais conjointement à cet apprivoisement, il convient de noter combien l'objet s'impose dans son mystère fondamental. Pierres aux formes étranges, silex qui donnent le feu et la protection ou la blessure et la mort, statuettes d'argile dotées d'un pouvoir qui dépasse l'entendement ou racine toute simple, tout nous rappelle à notre profonde et réelle impuissance sur l'objet. [...]
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