Le retour au désert, Bernard Marie Koltès, pièce de théâtre, Algérie, duel verbal
L'extrait étudié est tiré de «Le retour au désert », une pièce de 1988 dont l'auteur est le Bernard Marie Koltès, un dramaturge français axé sur la recherche de la communication et qui écrit un théâtre traversé par la violence et la cruauté des rapports humains grâce au réalisme. La pièce a pour cadre l'après guerre d'Algérie, et relate les retrouvailles entre une femme, Mathilde, considérée comme une renégate, et son frère, Adrien.
L'extrait que nous allons étudier évoque un intense duel verbal entre frère et sœur, devenus adversaires, devant trois témoins, Edouard, le fils de Mathilde, et les deux serviteurs Aziz et madame Queuleu. Comment, à travers une mise en scène dramatique, mouvementée et spectaculaire, Koltès révèle la haine d'une femme blessée et fait le procès d'une classe sociale ? Nous étudierons l'organisation de la scène, propice à un affrontement violent, pour ensuite nous concentrer sur la situation à la fois de femme réprouvée et de femme puissante de Mathilde avant de retenir notre attention sur l'aspect engagé de la scène, à savoir la critique de la famille bourgeoise.
[...] La négation restrictive qui s'ensuit, conjuguée d'une gradation descendante et d'une répétition blâme encore davantage sa sœur tu n'es qu'une femme, une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère lignes11 et 12. C'est aux lignes 14 et 15 que la question du défi et de la revendication de Mathilde est amorcée Que viens-tu revendiquer ? La phrase qui s'ensuit est intéressante car elle commence par" Oui" et fini par cela produit un effet de contraste ou de symétrie entre la première et la deuxième partie de la phrase. [...]
[...] L'enjeu de la scène est donc, pour chacun, de prouver qu'il est le plus fort. Et c'est à une véritable guerre qu'on assiste en tant que spectateur mais également en tant que lecteur. La perspective de s'avouer vaincu devant l'autre les révulse et ils sont prêts à tout pour cela, à calomnier l'autre et sa famille, à lui rappeler un passé empli de tourments, à spéculer sur l'avenir de l'autre, ou sur la situation de son entreprise, à le maudire ou à se battre avec lui. [...]
[...] C'est l'emploi récurrent du nous et du eux qui amène à cette conclusion, avec par exemple, à notre table pour qui nous prends tu lignes 18 et 20. Le fils retenant sa mère, et le serviteur ménageant son maître sont des faits qui vont tous deux dans ce sens. De plus, lorsqu'Adrien insulte sa sœur, il dit quelque chose de très intéressant une mère célibataire Si pour lui, dire ces trois mots équivaut à une insulte, cela montre que la notion de la famille est poussée à l'extrême chez lui, puisqu'avoir un enfant sans vivre avec le père est une faute. [...]
[...] Ces tentatives produisent un effet d'étranglement puis de relâchement de l'action car les trois phrases de didascalies possèdent la même construction syntaxique, c'est-à-dire une phrase complexe, à deux propositions, chacune symétrique à l'autre Aziz entraîne Adrien, Edouard entraîne Mathilde Les didascalies soulignent donc l'effet de symétrie entre deux groupes qui s'opposent constamment, Edouard et sa mère, Mathilde, et Aziz et son maître, Adrien. Ces personnages secondaires servent donc de témoins, de modérateurs, commentateurs, équivalent au chœur antique, qui renvoient l'image du conflit et en marquent la violence. Ils sont donc à la fois acteurs de l'action mais également extérieurs, puisque les personnages s'affrontent, sans prendre une seule fois en compte les autres personnages secondaires. En effet, Aziz et Madame Queuleu ne totalisent qu'à eux deux, pas mêmes quatre lignes. [...]
[...] Contre vingt pour Adrien et vingt-cinq pour Mathilde. Les deux personnages sont placés au centre de la scène par l'auteur, les rendant ainsi essentiels. Si Mathilde est la cible du mépris de son frère, elle ne s'en afflige pas pour autant. Au contraire, on dirait que c'est cette haine qui lui est vouée qui lui donne sa force. A l'instar des héroïnes raciniennes, Mathilde éprouve la haine pour son frère, ses enfants, sa maison et toute la ville. La dramatisation de sa situation se lit à la fois dans sa réplique, bien sûr, mais aussi dans celle de son frère. [...]
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