C'est en cela que l'homme aimerait pouvoir accéder à un univers où il se détache de « l'apparence visible » ou en d'autres termes de ce présent fuyant pour atteindre peut être un état transcendantale, où le temps ne serait plus étouffant. Cet appel à l'introspection, à rentrer en nous-mêmes, demande un autre rapport au monde, peut être sensible et à fleur de peau, à la condition humaine (...)
[...] Ces derniers prennent à présent une place démesurée, allant jusqu'à, dans certains cas, être plus hauts que la statue elle-même. Comme le disait Genet, il y a une formidable continuité dans ces oeuvres, qui ne sont pas coupées du socle sur lequel elles reposent mais en émergent pour être plus admirables encore. Certaines de ces femmes ne sont que des silhouettes, minces, à peine esquissées, n'ayant plus d'organes sensoriels. Elles conservent malgré tout cette inébranlable présence. Plus leur taille réduit, moins Giacometti semble travailler la matière. [...]
[...] Les visages de Giacometti sont le creuset de la vie. Il n'y a pas de différences de plans chez Giacometti, les ombres ont les mêmes valeurs que les éléments anatomiques qui sont suggérés par des traits nerveux, sombres, répétitifs et vifs. Pour représenter au mieux un objet, il convient de détacher celui-ci des préoccupations du reste du monde et d'oublier notre statut d'observateur pour apprécier au mieux cet objet qui était et devient sous nos yeux. On suppose que cette méthode est employée aussi avec les êtres humains. [...]
[...] Fiche de lecture sur L'atelier d'Alberto Giacometti de Jean Genet et analyse des photographies prises par Ernest Scheidegger, publié chez l'Arbalète, Gallimard (1963) L'atelier d'Alberto Giacometti Jean Genet interroge la condition humaine, sa finitude destructrice, inéluctable, qui provoque terreur chez tous les hommes. Cette incapacité de l'homme à être ancré dans la temporalité présente, qui fuit, ne lui permettant que d'exister, est soulignée par l'écrivain. Le temps étant toujours au-devant de nous, l'homme croit ne pas avoir de prise sur celui- ci, sur le monde visible, perçu et tangible. [...]
[...] C'est que Giacometti lui aussi a été capable de voir cela : l'artiste a su, à travers l'apparente familiarité de chacun de ses personnages nous faire comprendre que cette solitude que nous percevons dans ses oeuvres est commune à tous les êtres humains. Peut-on pour autant faire de Giacometti un philanthrope ou de son oeuvre une aventure humaine ? Genet cette fois s'exprime sur des oeuvres animales de Giacometti : un chien admirable réalisé en bronze mais aussi en plâtre et c'est le jeu de matière visible (ficelles, étoupes) qui transpire toute la misère du chien. Encore une fois, Genet évoque l'animal en action, chacun de ses membres et la courbe écailleuse de son dos ayant pris vie. [...]
[...] Ces hommes sont donc autant singuliers qu'ils sont semblables dans leur solitude. Au travers du contact physique avec la statue, Genet en apprend bien plus qu'au travers de l'appréciation qu'aurait pu lui offrir ses yeux ma main vit, ma main voit : l'anatomie foisonne sous ses doigts, doigts qui parcourent le même chemin creusé auparavant par Giacometti. D'une certaine façon, Genet parvient à remettre en cause notre rapport à l'oeuvre : ces corps de plâtre doivent-ils être touchés, palpés, comme le seraient de véritables corps ? [...]
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