La rhétorique et la peinture ont été unies dans une même condamnation philosophique (quoique “platonicienne” serait sans doute le terme le plus juste), et c'est ainsi que les arguments qui serviront à libérer la première rendront son autonomie à la seconde - telle est la démonstration à laquelle s'attache cet ouvrage. Notre étude portera plus particulièrement sur sa seconde partie, L'éloquence de la peinture, qui est plus propre à notre sujet, et ne nous ferons que de brèves allusions à celle concernant la rhétorique afin d'étayer notre propos.
Depuis Platon, la philosophie a établi un rapport ancillaire avec la peinture comme avec la rhétorique qui perdurera des siècles durant. C'est un point de vue assez souvent adopté, notamment par Danto qui dans son pessimiste The philosophical disenfranchisement of Art va jusqu'à soutenir que le rapport de soumission ne disparaîtra jamais, dut-il s'inverser : il voit ultimement un devenir philosophique de l'art qui quelque part causera la perte de ce dernier.
[...] Cette Académie à un rôle d'enseignement mais aussi de critique de tableaux par les artistes et de réelle théorisation de la représentation. Elle participe autant de l'élévation sociale des artistes qu'elle les prend en otage, les faisant passer du statut de teinturiers de génie à celui de serviteurs d'une philosophie hostile aux arts visuels - à se demander s'ils y ont réellement gagné au change, ce dont les coloristes ne tarderont pas à se rendre compte, et ce qui les poussera à établir leur propre théorie de la peinture pour s'échapper aux envahissantes catégories d'un dogme post- platonicien. [...]
[...] Cependant, on peut adopter un point de vue plus nuancé, notamment au regard du conflit entre coloristes et partisans du dessin qui déchira le dix-septième siècle français et l'Académie royale de peinture et de sculpture. Là où on pourrait ne voir qu'une simple dispute sur les mérites respectifs des deux parties de cet art se joue en réalité le devenir théorique de la peinture. Et c'est finalement grâce au triomphe des coloristes qu'elle fera exploser bien plus qu'un sage académisme mais aussi les catégories platoniciennes dans lesquelles elle s'était enfermée, croyant par là acquérir une légitimité théorique. [...]
[...] On voit ici que la controverse au sujet de la place de la couleur a une influence bien plus importante qu'un simple débat d'idée : on en vient à instaurer un nouveau rapport à la Vérité. Avec le nouveau paradigme coloriste, la vérité du tableau n‘est plus établie par comparaison avec un objet extérieur, mais mesurée par rapport à lui-même, vis-à-vis de l'effet qu'il produit sur le spectateur. Idéal et Nature deviennent vraisemblance et illusion dans un art de la tromperie qui se revendique comme tel : la mimésis migre dans le domaine de l'artifice, emportant la Vérité avec elle. [...]
[...] Dans sa conférence du 12 juin 1671 sur La Vierge à l'enfant de Titien, qui inaugura les hostilités entre son propre camp et celui de Roger de Piles, il ne fera l'éloge des couleurs chez Titien que pour mieux glorifier l'importance du dessin et le degré d'excellence auquel Poussin est parvenu dans ce domaine (celui-ci s'étant “égaré” un temps du côté des coloristes avant d'en revenir principal” : le dessin). La couleur est un talent naturel, et un éclat extérieur, alors que le dessin est réellement le produit de l'art et du travail. Le dessin est dessein, il répond à une logique et à des règles - en somme, il y aurait une sorte de vérité du dessin. [...]
[...] C'est ainsi que le spectacle d'une raie dépouillée par Chardin nous émerveillera toujours tandis que nous fuirons celle que nous trouverions chez notre poissonnier. C'est bien cette science du coloris, qui, inexplicable et impossible à enfermer dans des règles, fait jaillir cette étincelle de vie qui rend l'absent présent. L'histoire a d'ailleurs donné raison aux rubénistes, et Roger de Piles fut finalement élu à l'Académie. La libération des couleurs fit les beaux jours de la peinture et permit sans doute l'émergence d'un de ses plus grands courants : l'impressionnisme, où le dessin jaillit entièrement de la couleur. [...]
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